[Sept.] Double tranchant. [Pv : Ombrage]

Invité

Il souriait.

Du moins essayait-il. Il grimaçait, plutôt. Un rictus malveillant distordait son visage, le transformait soudainement en une créature maléfique abreuvée de Mal. Il propageait autour de lui une aura d'excitation malsaine, un halo de méchanceté sournoise qui n'envisageait rien de bon. Bien souvent, lorsqu'il plissait les yeux de la sorte, les élèves blêmissaient, changeaient littéralement de contenance devenir aussi transparent que des fantômes. Mieux valait se faire oublier en présence du concierge, car il voyait tout, savait tout, sentait chaque recoin de votre corps. Mais étonnamment, cette fois-ci, il les niait superbement, se concentrant sur un objectif que lui seul pouvait voir.

Argus Rusard arpentait le couloir comme du cauchemar compact, ses pas saccadés filant vers un seul et même but : le lieu de toute ses espérances, la Salle des Professeurs. Il ne régnait pas forcément une saine entente entre lui, veillard hargneux, et eux, emblêmes droites et fières de l'éducation. Néanmoins, il le savait, tout serait différent avec elle.

- Tu verras ma mignonne, dit-il doucement à Miss Teigne qui le filait comme une ombre. Tu verras : elle comprendra. Elle nous donnera son accord. Elle est comme nous.

Il accéléra le pas. Oui, plus qu'un fragment d'espoir, c'était devenu une certitude. Un fait inébranlable qui serait dû à la simple force de sa volonté : à nouveau se répercuteraient les cris, une fois encore brillerait dans la prunelles des élèves cette lueur blafarde de terreur. Une peur palpable, celle qui se transmet d'un frisson à l'autre.

Un soleil pâle, vestige d'un mois de mars resplendissant, filtrait par les fenêtres en ogive. Une poussière dorée dansait dans ces rayons chaleureux, exécutant un ballet effrené qui échappait à l'oeil nu. Qui échappa aussi à Rusard. Il ne distinguait plus les choses disparates, il avait cessé de percevoir les détails de la vie, ceux qui affirment les beautés de ce monde, ne fut-ce que pour un court instant de lucidité. Il traversa la valse poussiéreuse en soufflant comme un boeuf, ne freinant son élan mécanique qu'une fois confronté à la porte de la Salle des Professeurs.

C'était ici.

Derrière ce panneau couvait une seconde bouffée de carrière, un nouvel amour du métier. Argus posa ses yeux torves sur Miss Teigne, qui miaula sur un timbre d'encouragement.
Le concierge hocha la tête, sans prêter attention aux deux gargouilles encadrant l'entrée, et qui le dévisageaient de leur face granitique. Il élargit la porte, risqua quelques pas et aboya d'une voix forte :

- Professeur Ombrage !