HJ : Dédié à la maman de Cad

Ron n’était pas galant et détestait se forcer. Ron ne possédait aucun tact et n’espérait pas en avoir. Mais Ron appréciait Hermione et ne voulait pas la vexer. Des années auparavant, sa mère lui avait rabâché les oreilles sur l’importance de choisir la bonne compagne du premier coup, que l’être sorcier n’était fait que pour aimer une seule fois, qu’un cœur brisé était irréparable, et surtout, surtout, qu’il fallait « Prendre un petit peu exemple sur tes parents ! Fred et Georges t’influencent plus en une journée que nous ne pouvons le faire en dix ans ! ». Où était le mal ? A cet âge, il préférait largement l’humour caustique de ses frères à la mièvrerie de l’amour. Etonnamment, cela semblait encore être le cas à l’heure actuelle, exception faite qui commençait d’essayer de percer le fonctionnement des filles. Mais chaque fois qu’il pensait avoir découvert un sens d’horlogerie, une engrenage supplémentaire s’ajoutait, et il se retrouvait à la case départ, contraint de varier les ruses et les coups d’œil inquisiteurs pour progresser dans ses recherches. Néanmoins, en dépit de ces multiples défaites, Ron avait appris une chose : il valait mieux éviter de contrarier une femelle. Elles possédaient un surplus de quelque chose, un amas de mauvais caractère et de susceptibilité que l’on appelait les hormones. Ron avait déjà ressenti leur présence lorsque Hermione croisait les bras et s’enfermait dans un silence boudeur (la plupart du temps quand il critiquait la S.A.L.E.). Il lui avait également parut sentir leur aura chez Cho Chang, à un moment ridiculement anodin où il avait remis en question sa qualité de fan des Tornades de Churchill. (Car Cho n’était pas une vraie supportrice, voyons, il ne fallait pas se leurrer !)

Bref, toujours était-il qu’à partir du moment où Hermione avait exprimé le désir que Ronald lui rende un menu service, le Gryffondor ne passa même pas par le stade de l’hésitation et ce fut un « oui ! » enthousiaste et immédiat qui sortit de sa bouche. Grand mal lui en prit ! Le « service » en question se révéla fort contraignant puisqu’il s’agissait – lors de la prochaine visite à Pré-au-Lard (soit aujourd’hui même, merci Hermione !) – d’aller lui acheter un volume fascinant traitant des vertus des Runes Inversées. Elle lui avait même donné le titre « Les mystères d’une Inversion Injustifiée »… Fascinant, n’est-il pas ? Quelle excitation pouvait bien trouver à déchiffrer des sigles renversés ? Généralement, lorsque Ron faisait pivoter SA propre copie, l’encre encore humide dégoulinait un peu en quelques sillons maladroits, mais aucune révélation ne venait le frapper. Enfin si, qu’il n’aurait sûrement pas une très bonne note, mais ça, même Trelawney aurait pu le prédire, hein !

Pour ne pas déroger à son esprit totalement contestataire, Ronald s’était bien vite empressé de rajouter trois couches de lamentations et d’objections :

1) Il n’avait pas assez d’argent pour acheter ce fichu bouquin (Hermione déclara qu’elle avait bien évidemment l’intention de lui donner les douze noises et trois mornilles qu’il devrait, non mais vraiment !). Et même s’il l’avait, il se sentirait mal à l’aise de transporter autant d’argent sur lui.

2) L’exemplaire étant particulièrement rare, il était tout simplement inutile de se rendre chez Fleury et Bott. Ainsi donc, c’était une charmante (elle avait insisté sur le mot) librairie portant le nom de « L’île lettrée » qui lui fournirait le livre en question. Or, Ron n’avait jamais vu cette bête échoppe dans les rues de Pré-au-Lard et n’avait nullement l’intention de se perdre. Là encore, Hermione lui conseilla « Pointe au Nord », sortilège qu’il s’efforça intentionnellement d’oublier.

3) Il allait rater le début de la réunion tenue par Harry pour donner cours de Défense contre les Forces du Mal. Là-dessus, Hermione piqua une assez belle colère, criant et pestant que « qu’est-ce que Ron croyait ? », que c’était justement parce qu’elle devait accueillir tout le monde qu’elle ne savait pas s’en charger, que sinon elle l’aurait fait elle-même vu le peu d’entrain dégagé par Môssieur Ronald Weasley qui avait peur de prendre froid à rester si longtemps dehors, et que…

Pendant qu’Hermione reprenait son souffle, le Gryffondor avait lancé un « ça va, ça va » agacé, et s’était enfermé dans un silence non moins chaleureux qui dura plus de deux heures, s’aggravant de plus en plus à mesure qu’ils se préparèrent à sortir du château. La route menant à Pré-au-Lard coinça une fois de plus Harry entre deux esprits complètement butés, lui laissant très certainement le temps de penser à Cho. Ron estimait son honneur bafoué (Moi, acheter un livre ?), ne se privait pas de le dire à voix haute, et sentait sa révolte décupler à chaque tintement que produisaient les noises dans ses poches.

Dépenser autant d’argent pour un manuel soporifique… Il quitta Harry et Hermione non loin de chez Scribenpenne, tourna à droite, bifurqua dans une ruelle effacée, chercha du regard un enseigne évocatrice, et tomba sur un bâtiment situé un peu à l’écart et dont la façade ne semblait être qu’une grande vitrine. Avec un air s’extrême méfiance sur le visage, le Gryffondor colla le nez contre le verre, comme voulant fusionner avec la matière, et évalua l’enchevêtrement de livres, grimoires et autres romans. Il comprenait qu’Hermione ai hésité à venir d’elle-même : sans doute n’en serait-elle plus jamais sortie, absorbant quantité de caractères d’imprimerie qui auraient sans doute finis par se graver sur son front. L’enseigne n’était guère moins studieuse ; elle consistait en un poème idiot et dénué de sens :

Venez, inconnus, venez
quittez les rivages mornes de la réalité
et partez en quête des ogres et des fées
Sur les rives de l'Île Lettrée

Avec un soupir qui se répercuta dans tout Pré-au-Lard, Ron poussa la porte, faisant vibrer une grappe de grelots.

( HJ : la mère de Cad' dit : Merci beaucoup Ron et te laisse pas faire, les filles sont des emmerdeuses La joueuse de Cad décline toute responsabilité en cas de réaction incontrôlée de sang de bourbe rat de bibliothèque gryffondorienne)

Un nouveau week end, nouvelle sortie à Pré au Lard pour les élèves de poudlard et nouvelle occasion pour le libraire d'en savoir plus sur ce qui se passait entre ces murs. Pas qu'il n'avait pas confiance en Severus Rogue ... il n'avait pas confiance en Severus. De toute façon il était physiologiquement impossible à un gryffondor d'apprécier face de corbeau et ce n'était pas parce que Cad' sortait des sentiers battus qu'il n'était pas de temps en temps capable de se comporter comme tout le monde. Sniverus (comme l'appelait les maraudeurs) était insupportable. Si ce n'était sa fidélité sans failles au Maitre des Ténèbres depuis de nombreuses années, le mangemort se serait fait un plaisir de l'affronter de temps à autres, voire de le prendre carrément en faut, juste pour le plaisir. Mais comme il n'était pas du genre à forger des preuves pour assouvir ses inimités personelles, il se contenter d'essayer de le battre le plus souvent possible a ses propres jeux, juste pour l'énerver... ca ne marchait pas des masses mais au moins ça l'obligeait à se surpasser sans arrêt ce qui n'était pas un mal.

Les grelots de la porte n'avaient toujours pas fait entendre leur doux chant et Cad commençait sérieusement à se dire qu'il venait plus de monde à la boutique les jours de semaines que lorsque c'était permis. Il comprenait que des adolescents préféraient faire autre chose qu'acheter des livres lors de leurs rares moments de liberté, mais il aurait aimé que quelques curieux viennent le voir. Des serdaigles ou quelques serpentards. Voire ses 'élèves'. Il n'avait pas eu de nouvelles directes d'Irina depuis l'épisode de Davis (ce qui était prudent mais il aurait aimé savoir comment elle allait), Aimée ne s'était toujours pas manifestée, mettant sa vie de plus en plus en danger. Lucius avait raison, les Castelwood ne semblaient pas être des gens de confiance. Kark était toujours une énigme pour lui. Bientôt viendrait le moment où il devrait le sonder. Il fallait qu'il y pense sérieusement d'ailleurs. Il aurait également aimé avoir des nouvelles de Lena et Regis, les deux poufousffle délinquants qui s'étaient réfugiés chez lui un lundi soir, et il aurait avec plaisir continué à philosopher avec Alix, une gyffondor qui avait oublié d'être bête. Heureusement qu'il faisait de la vente par correspondance et que pas mal d'anonymes amoureux des endroits tranquilles venaient chez lui prendre des livres introuvables chez des 'grandes surfaces' comme Fleury and Bott ou il aurait été obligé de revoir ses comptes. Chose qu'il n'aimais pas du tout faire.

Cette journée s'annonçait morne et plate. Il faisait gris, froid et un petit crachin donnait une impression de lourdeur dont le libraire n'arrivait pas à se défaire. Le feu avait beau craquer joyeusement dans la cheminée, la vitre renvoyer un beau coucher de soleil, la décoration d'Halloween projeter des ombres rassurantes, le mangemort se sentait un peu déprimé.
Assit derrière son comptoir, un roman historique à la main (l'histoire d'un samourail magicien de l'ère Meji), une tasse de thé dans l'autre, Cad passait le temps. Travailler ne le tentait pas vraiment pour une fois et il s'octroyait une journée de 'repos' en ne faisant que le libraire. Il avait rendez-vous dans la soirée a New York pour assister a une cérémonie du club de 'lecture' qu'il avait ouvert là bas et qui servait de couverture à ses mangemorts en herbe. Avec le décalage horaire il savait qu'il allait devoir supporter une looooooongue journée et prenait donc des forces.

Le bruit de la porte qui s'ouvrait le fit à peine réagir. Il leva les yeux de son livre et regarda le nouveau venu. Rouquin, la quinzaine, vêtements élimés, air déguingandé et réprobateur... un Weasley sans aucun doute. Il y avait d'autres rouquins mais peu qui cumulaient tous ces signes distinctifs. Wealsey... Cad connaissait leur père, Arthur. Enfin connaissait était un grand mot. Même maison pendant quelques années, même lieu de travail pendant quelques autres. Mais les centres d'interet et les cercles d'amis divergaient complètement. Les Weasley étaient ce qu'on appelait communément des 'traitres à leur sang' c'est à dire qu'il s'agissait de gens ayant la chance d'être nés sang pur et qui le gâchaient complètement en prônant l'égalité entre les races voire - si on écoutait Arthur - la supériorité des moldus sur les sorciers. La plupart des mangemorts pensaient que cette famille ne méritait que la mort mais Cad' n'en était pas vraiment sur. Ils étaient sang pur. C'était quelque chose de trop précieux pour être gaspillé. On pouvait toujours rééduquer un esprit mais le sang était un cadeau (ou une malédiction, ça dépendait) qui vous était donné à la naissance et que rien ne pouvait modifier. On trahissait toujours ses orgines. Cad pensait donc que seuls les parents Weasley devaient mourir. Les enfants devaient épouser des sangs purs, avoir des enfants qu'on leur enleverait pour les éduquer dans les vrais principe et la vraie tradition. La perte de leur héritiers serait de toute façon une punition suffisante pour les traitres qui avaient au moins le courage de leurs opinions.

Le mangemort se leva, sourit poliment et sans montrer ses pensées guerrieres et attendit que le jeune homme se déplace jusqu'au comptoir. Il ne savait pas de quel enfant Weasley il s'agissait mais avait entendu dire que le plus jeune des garçons de la famille était un ami proche de Potter fils. Il fallait donc faire bonne figure, au cas ou.

"Cadfael Jon William Gynn ap Nudd. Tu cherches quelque chose en particulier ? Je peux t'être utile ?"

Présentation et questions neutres, presque automatique tandis que l'esprit du libraire était partit dans un débat houleux pour savoir si oui ou non, il offrait une tasse de thé à ce visiteur inattendu.

Mouais. Ok. Le bougre de libraire avait réussi à rendre son antre attrayante. Des citrouilles grimaçantes brillaient d’une lueur mauvaise d’un bout à l’autre de la pièce, et une étrange sphère lumineuse illuminait l’endroit, pareille à l’âme d’un défunt en peine. Une atmosphère glauque et artificielle avait été jetée sur la librairie, répandant - trop tôt (Halloween n’était que dans deux semaines voyons !) - les prémices d’un Walpurgis sanglant. Mais bon, dans un sens, la plupart des vitrines se décoraient déjà de couleurs morbides ; une déformation commerçante, sans doute. Ron se risqua à quelques pas. L’endroit en lui-même, mis à nu de tant d’artifices, dressait plusieurs étagères pleines à craquer de volumes aussi divers que poussiéreux, tandis que des tables rondes étaient disséminées çà et là, offrant le confort d’une lecture silencieuse. Pour peu, l’on se serait cru dans une bibliothèque ; de quoi rendre Hermione complètement ivre d’allégresse. Mais les yeux du Gryffondor venaient de se poser sur le fond de la salle, chassant toute pensée extérieure. Un homme se tenait attablé, les mains posées bien à plat devant lui, et dévisageait son visiteur avec une mélange d’absence et de réflexion. Le temps parut un instant comme figé, des grains de poussières dansant dans l’espace confiné, tandis qu’une flamme froide et calculatrice dévorait les prunelles du libraire. Ron se mit à reculer, cette fois, une frisson malsain soulevant sa peau. Etait-ce là une façon d’accueillir des clients ? Avait-il ressenti l’hostilité du rouquin à l’égard de la littérature inutile ? Dans les deux cas, une sorte d’aura dangereuse s’était tendue comme une toile d’araignée, prête à enserrer une proie. Cédant à un réflexe de sécurité, il jeta un regard par-dessus son épaule, et ce qu’il vit le surpris plus qu’il ne l’affola : loin de donner sur la ruelle de Pré-au-Lard, la vitrine projetait un paysage brumeux, gris et blafard. Un assez bel enchantement en soi. Un craquement le fit sursauter, et les pièces tintèrent dans ses poches.

Le libraire s’était levé.

Mais ce n’était plus là le même homme. Ses traits étaient à présent détendus, bienveillant, et un sourire poli lui dessinait de petites rides de malice au coin des yeux. Son animosité s’était soudain muée en réconfort omniscient, comme un main tendue face à un appel à l’aide. Le cœur du Gryffondor décéléra en une cadence de soulagement, et même la librairie toute entière se dessina sous un jour nouveau, teintée de couleurs chaudes et réconfortantes. De toute évidence, c’était à Ron de s’avancer et d’effectuer sa demande. L’idée de se trouver à moins d’un mètre de cet étrange personnage suffit à la mettre mal à l’aise ; néanmoins, le visage furieux d’Hermione lui vint en tête, et ce fut là un bien meilleur stimulant. (Les filles et leurs crises de rage, vous savez…) Sans toutefois baisser sa prudence, Ron avança d’un pas qu’il aurait bien voulu décontracté, s’immobilisa devant le comptoir, piétina sur place d’un air pressé et grogna : « b’jour ».

- Cadfael Jon William Gynn ap Nudd, répondit l’homme du tac-au-tac. Tu cherches quelque chose en particulier ? Je peux t'être utile ?

Ronald essaya de reconstituer le nom de mémoire, mais sa concentration achoppa sur « William ». Il préféra donc maudire les noms à rallonge.

- Em… commença-t-il, indécis.

Les étagères semblaient pencher en avant, comme voulant l’enfouir sous une avalanche d’encre et de papier jauni. Comment pouvait-on donc vivre et s’épanouir dans ce sanctuaire ? Là où seuls les bruissements de page et les grincements du bois vous faisaient conversation ? Le libraire le sondait d’un regard des plus impénétrable, le visage fermé à toute analyse réciproque. Ron plongea une main maladroite dans sa poche, en ressortit un morceau de parchemin chiffonné, le lissa du mieux qu’il put sur le comptoir, et le tendit à Cadfael Nid de Truc.

- J’aurais besoin de ça, marmonna-t-il la bouche sèche. C’est un bouquin sur les runes, ou quelque chose comme ça.

Si jamais il sortait intact de cet endroit, il forçait Hermione à lui faire un mois de devoirs.

HJ : En espérant que la maman de Cad suive avec toujours autant d'entrain. :p

Le libraire se moquait-il de lui ? Ou bien était-ce là une impression aussi générale que constante ? Il suffisait d’un simple changement de lumière pour que l’ombre mouvante habitant les yeux de Cadfiel se mue en ténèbres glaciales. Puis l’intensité lumineuse déclinait légèrement, et un clin d’œil complice animait ses traits. Mis à part Dumbledore, jamais Ronald n’avait observé pareil phénomène humain. Un subtil mélange de complexité élaborée et de maladresse polie qui, au final, donnait un véritable mystère homogène. Ses manières, en revanche, furent purement professionnelles lorsqu’il s’empara du bout de parchemin et le parcourut des yeux.

- Avec un titre pareil, déclara-t-il d’un air amusé, il y a peu de chance que ce soit un roman sur les champignons.

Deux choses se mélangèrent alors en Ron. Premièrement, du soulagement. Un intense soulagement qui manqua le faire éclater de rire : il avait de l’humour. Et c’était là une preuve bien plus rassurante que toute autre remarque bienveillante. Un être doué du sens de l’humour ne pouvait être mauvais ou manipulateur ; il n’y avait qu’à voir Malefoy. Encore que Rogue… mais non, Rogue usait du sarcasme, une technique d’hilarité uniquement destinée à rabaisser autrui ; tandis que Cadfaal (ou bien Cadfayel ?), lui, s’armait de l’amusement le plus simple, sans chercher à y insérer une quelconque nuance de reproche. Et de toute manière, Ron possédait lui-même beaucoup de charisme en matière d’humour, aussi ne pouvait-il que ricaner positivement. Ensuite – et c’était la deuxième chose qui avait frappé Ron – il venait de remettre à sa place la plus juste la grandiloquence titrée de tous ces ouvrages poussiéreux : la moindre appellation à rallonge rendait Hermione complètement surexcitée. (Il se souvenait douloureusement de l’épisode du manuel intitulé Comment la métaphysique moldue et ses dérivés partiels entrent en totale contradiction avec la finesse occulte des arts sorciers. Hermione n’avait pas dormi pendant plus de deux jours pour le dévorer dans son entièreté.) Ron adhérait totalement à cette façon de penser : un titre de livre se devait d’être court et précis, point barre. Au final, donc, Catfael usait sans honte de l’autodérision, ce que le Gryffondor trouvait admirable.

- Ouais, répondit-il alors dans un grognement jubilatoire. C’est sûr…

Il plongea inconsciemment une main dans sa poche, pour y vérifier la présence du petit pactole, puis ajouta :

- Vous… vous l’avez, hein ?

Il eut à peine de temps de souffler la dernière syllabe que le libraire répondit du tac au tac, presque vexé de l’inutilité de la question. Oui, bien sûr qu’il l’avait, néanmoins l’ouvrage en lui-même était épouvantablement ardu et difficilement abordable à un niveau de B.U.S.E.s. Pourquoi Ron ne s’en étonna-t-il pas ? Hermione avait le don de toucher à tout ce qui était censé la dépasser ; et bien évidemment, elle remportait le moindre challenge haut la main. Très récemment, il l’avait surprise occupée de s’entraîner au sortilège d’Apparition, une horreur complexe qui revenait aux A.S.P.I.C.s.

- Tu n'es pas un peu jeune pour t'atteler à de pareilles énigmes, s’étonna Cadael.

Comme s’il avait demandé à mettre la main sur un bouquin aussi soporifique ! Clad pouvait bien le garder et lui vendre à la place En vol avec les Canons, édition deluxe.

- Tu ne préfèrerais pas un livre plus simple ? continua-t-il.

Lui, si, mais Hermione le tuerait à coup sûr. Le libraire ne la connaissait pas, de toute évidence, le chanceux.

- Commencer directement par le plus dur est certes louable mais tu risques plus de te dégoûter qu'autre chose...

Trop tard ! Depuis que le Gryffondor s’était fait une idée du prix, il s’était intérieurement félicité de ne pas s’être inscrit en étude des runes. C’est vrai, quoi, quel était l’intérêt de déchiffrer des vieux poèmes gravés dans la pierre ? Il y avait tellement mieux à faire… Acheter un sac de boules puantes chez Zonko, par exemple. L’idée le titilla un instant, et il se promit de jeter ses réserves dans une cabine des toilettes des filles en rentrant, particulièrement lorsque Eloïse Midgen y serait occupée.

- En fait, ce n’est pas pour moi, s’empressa de se justifier Ron. C’est pour une amie… une dingue des livres, on s’est toujours étonné qu'elle n’a pas demandé « L’Histoire de Poudlard » en mariage.

Il haussa les épaules d’un air signifiant très clairement « mais bon, on fait avec, hein ? ».

Et là, à ce moment très précis, son corps tout entier frémit. Une odeur suave venait de lui chatouiller les narines, faisant hurler son estomac. C’était là un parfum d’eau chaude et de feuilles amères, accompagné d’un soupçon de pâtisseries toutes fraîches, prètes à être trempées dans le thé. Se pourrait-il que… ? Un elfe particulièrement laid se présenta, portant un large plateau d’argent qui offrait mille et un délices en matière de viennoiseries. Ce libraire était un Dieu de la courtoisie et de l’élégance !

- Prends donc une tasse de thé pendant que je vais te chercher tout ça…

Mais Ron s’était déjà assis sans demander justification, et dévorait sa première frangipane. Après autant de revirements de situation, il méritait bien une certaine récompense, non ? C’était la lumière au bout du tunnel en quelques sortes.

- ‘as de soucis, articula-t-il la bouche pleine. ‘renez ‘otre temps ‘urtout.

Et d’attaquer une tartelette au citron.

[Je dois t'avouer que pour une fois, je suis moins satisfait de mon post --> Je suis malade et j'ai donc des capacités amoindries. C'est pas pour autant qu'il est raté, hein, je l'ai quand même soigné ;)]

Roh, Merlin ! Ce libraire, il savait accueillir les gens ! On s’asseyait, on passait commande, et il ne restait qu’à s’empiffrer pendant qu’il errait parmi les étagères. Ron terminait de mâcher un éclair au chocolat tout en jetant des coups d’œil distraits à gauche et à droite. Dans un sens, même si l’on n’était pas un grand fervent de la lecture, l’on pouvait néanmoins saluer la quiétude de l’endroit. Contempler les mille et une couvertures chatoyantes des livres en sirotant une tasse de thé vous transmettait une atmosphère douillette. Pour peu, Ron se serait enfoncé dans le fauteuil pour piquer un somme. Des volutes de poussières diverses dansaient sereinement, accrochées dans le vide, tandis que la vue sur l’extérieur se contrastait en deux paysages distincts. Lande déserte d’un côté, rue de Pré-au-Lard de l’autre. Jour et nuit. C’était fichtrement bien trouvé pour annoncer la fête d’Halloween. Un silence respectueux régnait en maître, si bien que Ron diminua d’un cran ses bruits de mastication, soucieux de ne rien déranger. Non pas que la compassion ne soit son point fort, mais dans un certain sens, la librairie le fascinait. On aurait dit un habile trompe l’œil pour dissimuler quelque chose de bien plus sombre et ancien que les richesses des manuels. Ce n’était bien sûr qu’une impression (impression renforcée par la touche sinistre apportée à la décoration), mais il lui semblait qu’élever la voix risquait de déchirer le voile des illusions. Il déglutit donc tout doucement, s’aidant d’une goutte de thé. Le libraire, lui, avait disparu. Comme pour contrer cette soudaine solitude, la voix de Cad… - Cadfael ! Ca y est ! Il s’appelait Cadfael – lui parvint depuis les rangée de livres poussiéreux.

- C'est tout ce dont tu as besoin ?

D’instinct, ses yeux bleus glissèrent sur chaque angle de vue, cherchant avec rapidité et précision la présence du libraire. Mais rien ne l’annonçait concrètement ; sa voix surgissait de plusieurs endroits à la fois, se cognant en un timide écho contre les murs tapissés.

- Oui, oui, rassura Ron sans vraiment savoir où s’adresser. C’est tout… heum…

Il tendit une main vers le plateau pour y cueillir une autre pâtisserie mais ses ongles raclèrent la surface d’argent : il avait tout ingurgité.

- J'ai de très belles éditions de livres sur le Quidditch si tu veux, continua Cadfael.

- Non, non, ça ira, merci, dit maladroitement Ron, j’ai déjà En vol avec les Canons et euh…

Bon sang, il était vraiment troublant de s’adresser à un fantôme de bibliothèque ; Ronald s’attendait presque à le voir surgir de derrière son épaule. Le doute lui creusa davantage l’estomac et il se pencha sur l’elfe repoussant.

- Dis, tu ne saurais pas m’apporter ces fameux choux à la crème ? lui murmura-t-il au creux de sa large oreille. Mets-y la dose, hein.

L’elfe s’inclina et disparut dans les profondeurs de l’arrière boutique, soulageant Ron d’une vue écœurante. Il lui avait déjà été donné d’apercevoir des elfes de maisons de tous les genres, mais celui-ci battait les records de mocheté. Quand on le comparait à Dobby (qui n’était déjà pas une gravure de mode en soi), on remarquait à quel point il était d’une franche laideur. La nature avait dû se frotter les mains d’un air machiavélique à sa naissance, ravie de pourrir une apparence toute fraîche. Un léger sourire aux lèvres, le Gryffondor imagina quelle serait la réaction d’Hermione en le voyant assis comme un pacha, envoyant les commerçants effectuer des recherches compliquées et exploiter un elfe raté.

- Je me souviens lorsque j'étais gardien de ma maison, continuait Cadfael, je passais mon temps à regarder les techniques des professionnels et à rêver que je devienne un jour aussi bon qu'eux.

Pendant un court instant, Ronald en oublia sa crainte réservée et prêta un vif intérêt aux propos du libraire. Ainsi donc il avait été gardien, vraiment ? Voilà qui était encourageant, non ? Les joueurs de Quidditch ne pouvaient pas être entièrement mauvais, non ? Mais le visage de Krum s’intercala dans sa tête, et il se renfrogna quelque peu.

- Ben ça alors, s’exclama-t-il néanmoins. Je suis aussi gardien de mon équipe. Vous…

Les clients pouvaient-ils se permettre les indiscrétions ? Oui, ce n’était pas bien méchant. Rien qui ne puisse porter atteinte à son intimité.

- Vous étiez dans quelle maison ? demanda-t-il alors.

Sur quoi il salua d’un claquement de langue le retour de l’elfe.

Tout du moins la voix finit-elle par récupérer un visage et le libraire apparut à l’angle d’une étagère, livre sous le bras. Il était déjà moins oppressant de discuter avec un individu compact en lieu et place d’un être éthéré, à la fois partout et nulle part.

Encore ce sourire bienveillant.

Pourquoi Ron s’en formalisait-il autant ? La constance ? Un commerçant pouvait très bien demeurer satisfait pendant des heures sans forcément manigancer quelque chose. Le manque de chaleur ? Peut-être était-ce le hic. Dans la forme et le contour, il se s’agissait là que d’une ébauche traditionnelle : les lèvres s’étirent et les rides se creusent, point barre. On pouvait même faire le rapprochement avec les esquisses de Lupin ; soit un sourire signifiant « tout va bien, il n’y a pas de quoi s’inquiéter ». Celui de Cadfael reproduisait plus ou moins le même message, à défaut qu’il conservait un baume froid et figé ; un peu à la manière de ces intellectuels, trop occupés dans leur tête pour songer véritablement à rire et ne le faisant que par réflexe. Voilà ce qu’il manquait : c’était l’âme même de ce rictus. Ronald n’était pas un fin analyste au point d’enchaîner de si fines observations en aussi peu de temps, mais vivre aux côtés de Fred et Georges portait considérablement ses fruits : il s’agissait de déchiffrer vite et bien leurs airs goguenards pour découvrir si oui ou non ils avaient mis des cafards dans la soupe. Ici, à défaut de cafards, le libraire aurait tout aussi bien pu l’empoisonner.

Ron reposa son morceau de gâteau par sûreté.

Cadfael s’était assis et sirotait à présent un thé. Il avait posé un gros livre sur la table, mais une solide couche de poussière en dissimulait le titre. Ainsi donc, monsieur l’énigmatique appréciait les Canons de Chudley ? Un très bon point ! Ron reprit le morceau de pâtisserie abandonné. Après tout, son attitude avait été stupide depuis son entrée dans la librairie : il soupçonnait, baissait sa garde, se replongeait dans un océan de doutes et de scepticisme. Un commerçant est un commerçant : il vend ses bibelots et seul l’argent l’intéresse, voilà tout. Le présent Cad déviait un peu du chemin en raison de sa marginalité… Mais passer sa vie collé à des caractères d’imprimerie devait très certainement altérer le cerveau et la sociabilité ; voilà ce qui attendait donc Hermione au tournant.

Ron ne partageait pas vraiment l’avis de son interlocuteur : Ragmar Dorkins était un génie de la stratégie. Il s’emportait un peu vite, certes, mais conservait toujours un œil efficace sur le déroulement des matchs. Il s’agissait plutôt de…

- Galvin Gudgeon ! s’exclama-t-il à voix haute quand Cad le cita. Lui, c’est le gros handicap de l’équipe. La dernière fois, il a reçu le Vif d’Or dans l’œil. Et au lieu de l’attraper, cette andouille a préféré atterrir auprès de Médicomages pour se faire soigner.

Non mais ! C’était vraiment une haute trahison ! Même blessé à mort, Ronald aurait continué de défendre ses buts coûte que coûte… Encore qu’il n’avait encore joué aucun match, patientait celui de novembre et se nourrissait de grands et beaux idéaux. Restait à voir si son courage persisterait dans la douleur et le trac.

Il était étonnant de se trouver face à un ancien Gryffondor. Ron avait tendance à penser que les gens de même maison s’entendaient nécessairement mieux. Contradiction lui était appliquée puisque Cadfael, aussi sympathique qu’il était sibyllin, lui donnait la désagréable impression de le sonder en permanence. Et Ronald détestait être évalué, quelles qu’en soient les circonstances. En revanche, il nia bien volontairement l’allusion à James Potter. Soulever l’anecdote l’aurait presque obligé de mentionner son amitié avec Harry, et le peu d’attention qu’il réussissait à obtenir pour lui et lui seul (petite crise d’égocentrisme) se verrait alors déportée sur le Survivant. C’était là une chose assez désagréable qui revenait couramment. Lorsqu’il rencontrait de la famille, par exemple. Lors d’une lointaine visite à la grand-tante Tessie, l’habituel questionnaire s’était enclenché : « Comment ça va à l’école ? » « Les points suivent ? » « Il est bien à Gryffondor, n’est-ce pas ? ». Là-dessus, Ronald répliquait par de savants « Ouais, ça va » et « Ouais, tout va bien ». Mais à partir du moment où sa mère avait eu l’excellente idée d’énoncer sa grande amitié avec le célèbre Harry Potter, grand-tante Tessie avait poussé un « Oh ! » ravi avant de le bombarder de questions aussi répétées qu’indiscrètes. Aussitôt, le centre de tous les intérêts n’était plus Ron, mais bien Harry, le Survivant.

Une très légère colère l’envahit ; colère qu’il passa en se défoulant sur Krum. Après tout, s’il n’appréciait pas vraiment Galvin Gudgeon, il risquait encore moins d’aduler Viktor Krum.

- C’est un crétin fini, gronda Ron avec force. Il ne s’intéresse pas vraiment au sport mais plutôt aux filles – personnellement, je le trouve très laid. Il est venu à Poudlard l’année passée – Tournoi des Trois Sorciers, il a perdu, bien sûr – et je l’ai encore moins aimé. Déjà qu’avant, je le trouvais fier et orgueilleux (Tu parles ! Ron l’admirait !), mais maintenant je n’ai pas peur de dire que c’est un abruti prétentieux qui ne sait faire que grogner.

Il s’était levé sans même s’en rendre compte : rester en place l’insupportait, plus spécifiquement quand il dénonçait Krum. Cela faisait quand même du bien de remettre la star à sa place, non mais sans blague ! Il tournait inconsciemment le dos au libraire, pensant rageusement au Bal de Noël. Un craquement de parquet le ramena à lui. Peut-être que quand il se retournerait, le libraire aurait une fois de plus disparu.

Toujours aussi certain de la naiveté de son interlocuteur et de son manque de soupçons, Cad continuait son petit travail d'interrogation. Il suivait tranquillement ses mouvements du regard, secrètement amusé de le voir manger autant. Le rouquin venait d'engloutir en moins d'une heure, plus de pâtisseries qu'il n'en mangeait en un mois. Il n'y avait qu'Austen qui pouvait rivaliser avec ce jeune goinfre. Quoique 'Teen était plus bonbons que gâteaux.

Mais à quoi pensait-il là ? N'importe quoi. Concentre toi Cad, ce n'est pas le moment de penser à tes problèmes domestiques. Tu as une mission à accomplir alors fait le. Sinon, le Lord risque de te renvoyer en Amériques et t'y laisser moisir, inutile, le reste de ta vie. Quoique dans son état d'esprit présent, il n'était pas sur d'être contre. Il se sentait tellement fatigué... L'espace d'une seconde le visage mobile du libraire révéla la tristesse et la morosité qu'il ressentait réellement, puis le sourire revint, faisant petiller ses yeux verts/gris/ambres. Son amusement n'avait pas grand chose à voir avec Ron mais plutôt avec un souvenir qui venait de lui traverser l'esprit. Le visage de Lucius, assit sur la même chaise que le Weasley, essayant de résister à un chocolat et posant soudain sa tasse de thé comme s'il craignait qu'elle soit empoisonnée.

Le mangemort reprit une gorgée de thé, savourant le gout amer et fruité du liquide brûlant. Contrairement à la plupart des anglais, il prenait le breuvage sans lait ni sucre, et très peu infusé. A la française en gros. Tiens, le gamin avait perdu contre sa prudence et avait reprit le gâteau. Très interessant. Il était donc plus impulsif que sage même s'il lui arrivait d'avoir de bon mouvements. Et il était de plus extrêmement imprévisible car très irrationnel. Etait-ce bien le fils d'Arthur ? Parce que le père au moins était constant dans sa folie, son manque de bon sens et son enthousiasme. Là on avait l'impression que Ron était tiraillé entre deux influences. Pourtant, pour autant qu'il s'en souvienne, Molly Prewett n'était pas non plus un monstre de rationnalité. Quoique. Ses souvenirs remontaient à pas mal de temps déjà et il ne s'était jamais vraiment interessé à elle. Il n'aimait pas les rousses.

Mais qu'est ce qui lui prenait Merlin ! Laisser son esprit se disperser ainsi dans toutes les directions était une erreur qui aurait pu lui être fatale ! Etre déprimé ou surmené n'était pas une excuse il fallait qu'il se reprenne. Qu'il se concentre sur un seul sujet, et qu'il s'y tienne ! Le quidditch. Oui le qudditch serait parfait, d'ailleurs l'adolescent y revenait et lui parlait de Galvin Gudgeon.
Recevoir le vif d'or dans l'oeil ? Et pourquoi pas l'avaler pendant qu'on y était. Voila qui était bien idiot pour un attrapeur ! Il devait vraiment se remettre au gout du jour.

"Ah oui ? Je l'ignorais, j'avais peu de nouvelles sur les équipes anglaise à New York et j'avoue que je n'ai pas encore eu réellement le temps de me remettre à jour. Peut-être pourrais-tu m'aider ?"

Les équipes anglaises n'étaient pas bonnes de toute façon. Celles d'Ecosse et du Pays de Galle étaient bien meilleures. Il se souvenait de Llewellyn Daï par exemple. Il avait été attrapeur des Catapultes. L'un des meilleurs malgré son surnom du "Dangereux". Llewelyn... le chef-lion si on le traduisait littéralement. Quoique eilun signifiait image ce qui pouvait marcher aussi. Et Dai signifiait Brillant. L'Image Lion-Roi Brillant Dangereux. Ca rendait moins bien en traduction mais le sens était là. Dommage qu'il soit mort. Dévoré par une chimère, quelle fin stupide. Quand à l'équipe qu'il supportait lorsqu'il avait l'age de Ron, les Pies de Montrose, sa réputation n'était plus à faire.

Ron se leva et se mit soudain à parler avec une colère tres mal contenue. Cadfael, plus sensible au ton qu'aux paroles se leva également, par réflexe, sa baguette dans sa main, prêt à en découdre si nécessaire. Il n'avait rien d'un combattant mais il était sans conteste un gardien. Question rapidité de réaction, on ne pouvait rien lui reprocher. Les sourcils froncés, le visage fermé, il tenta d'analyser au travers des paroles de Ron, les raisons de son emportement. Ce qu'il comprit le fit éclater d'un rire clair, franc et joyeux. Toute inquiétude quitta aussitôt ses traits tandis qu'il fermait une seconde les yeux pour se laisser aller à sa gaieté soudaine. Jaloux. Le gosse était jaloux. De cet idiot de Krum qui plus était, le protégé de ce traitre de Karkaroff, par Merlin c'était trop drôle.

Des larmes de rire aux yeux, Cadfael s'était retourner pour tenter de se calmer avec une gorgée de thé et poser sa baguette. S'il continuait à se laisser aller à ce fou rire, Ron allait croire (a juste titre) que le libraire se moquait de lui et le prendre mal. Respirer un bon coup et se tourner vers son interlocuteur.

"Je vois" reussi-t-il à articuler, amusé. "J'avais entendu dire qu'il avait participé au tournois des Trois Sorciers en effet. L'on m'a même dit qu'il avait réussi une transformation partielle en requin ce qui en dit long sur son caractère et était d'ailleurs assez stupide. Je crois que les attrapeurs aiment se faire remarquer. Ca doit être quelque chose qui vient à force de sentir des centaines d'yeux braqués sur vous lors des matches. Les Poursuiveurs travaillent en équipe de trois, les Batteurs sont en couple et les Gardiens travaillent avec toute l'équipe car ils sont les mieux placés pour décider des stratégies et coordonner les équipes. Mais les attrapeurs sont seuls et ainsi se distinguent aux yeux du public."

Peut-être n'aurait-il pas du se lancer dans une telle analyse des différents rôles mais il s'agissait en fait d'un nouveau piège à l'attention du Weasley. Il avait été plutôt décu de voir qu'il n'avait pas réagit à sa mention de Potter-père et tentait une nouvelle approche. Ronald allait-il défendre le rôle de son ami ? Ou en était-il jaloux comme il l'était de Krum ?

Ronald venait seulement de réaliser que le libraire lui avait fait une proposition. « Peut-être pourrais-tu m’aider ?». Discuter Quidditch était l'une des rares occupations auxquelles le Gryffondor se soumettait avec un réel entrain. Il était capable d’émettre des théories sur les éventuelles victoires d'équipes pendant des heures. Ginny lui faisait souvent remarquer que s’il se penchait sur ses études avec le même enthousiasme, il décrocherait sans aucun doute un « Optimal » dans chaque branche. Mais peine était perdue. Ce n’était pourtant pas faute d’avoir essayé ; cependant, il était extrêmement ardu de se représenter les Théories Appliquées de la Métamorphose comme étant un match effréné de sport. Conclusion fut faite que porter les études en second plan avait parfois du bon.

Rafraîchir les connaissances d’un libraire comportait son lot de contentements… Non seulement cela permettrait à Ron de prouver noir sur blanc que cultiver une myopie dans les livres vous coupait du monde (et toc pour les lettrés !), mais en plus il était possible que, en apportant un brin d’aide à Cadfael, ce dernier lui fasse un rabais sur le livre de Runes. A ces deux belles opportunités vint s’opposer un duo fracassant de réalité : 1) Le temps lui manquait : il devait rejoindre Harry et Hermione à la Tête de Sanglier dans les plus brefs délais 2) Pourquoi diminuer le prix d’un manuel si ce n’est même pas pour son propre profit ? (Petite nature égoïste refaisant surface). Pour donc donner une conclusion à ces pensées fumantes, Ron articula un « Ben, euh, c’est gentil mais j’ai pas vraiment le temps ». Voilà. Au moins il s’agissait de rabrouer Monsieur sans heurter les normes de politesse.

Une politesse qu’il n’avait pas tardé à évacuer pour écraser l’image de Krum. En réaction – et la surprise lui secoua l’échine – un grand éclat de rire explosa dans son dos. C’était quelque chose de tonitruant et de sauvage ; une succession de sons clairs et froids qui se heurtèrent dans l’atmosphère vide. L’on aurait dit qu’une centaine de démons s’étaient lancés dans l’hilarité. Ronald se raidit. L’éclat jovial persista. Tout en conservant une certaine jovialité, il parvenait à dégager des relents d’obscurité. Son père lui avait toujours dit que le rire des gens trahissait leurs natures. Celui de Cad n’était pas cruel, ni même méchant. Il était juste objectif, d’une observation sans pitié qui humilia Ron bien plus que les dégâts de n’importe quel mot. Cadfael se moquait de lui ; il s’amusait de son besoin d’estimation et de son manque de confiance en lui. Oui, en dévalorisant Krum il amoindrissait par la même occasion la figure de rival qu’il gardait de lui, cette icône de prédateur affectif – un joueur populaire de Quiddtch venu pour lui ravir la fille qu’il aimait. C’était une manière à Ron de se remettre au premier plan ; un premier plan que le libraire venait de piétiner en rugissant d’allégresse. Sale type. Le Gryffondor lui tournait toujours le dos, contemplant sans vraiment le voir le décors factice de lande nocturne.

Un léger gargouillement lui indiqua que Cadfael venait d’étrangler son rire dans le thé. Un court silence s’imposa, à peine troublé par la respiration lourde et blessée de Ron. Le libraire parut remarquer ce manque de tact car il redirigea son jugement concernant Viktor Krum. Oubliant la raillerie ouverte, il glissa plutôt dans le sens de Ron en lui confirmant à quel point l’Attrapeur pouvait être stupide. Mais, loin de s’attarder sur le personnage à proprement parler, Cadfael dériva lentement sur le poste même de l’Attrapeur. Fier. Orgueilleux. Egocentrique. Etait-ce donc là l’image que le spectateur avait de lui ? A bien y réfléchir, l’issue du match dépendait de son adresse et de sa précision, mais de là à se focaliser en entièreté sur son rôle. Certes, Gardien, Poursuiveurs et Batteurs étaient aussi des rôles majeurs, mais l’Attrapeur, lui, était une sorte de star. C’était lui qui soulevait les frissons lorsqu’il plongeait vers le sol, lui qui faisait monter les cris de victoire en brandissant une petite balle argentée. Krum était de ceux-là. Et après un temps, Ronald se rendit à l’évidence que Harry faisait également partie de cette caste. Non pas que son meilleur ami cherche à voler la vedette à qui que ce soit, mais il attirait indubitablement l’attention. Sa célébrité y était pour quelque chose, son agilité exceptionnelle achevait le reste. Et Ronald savait pertinemment qu’il aurait beau parer tous les Souaffles du monde, les multitudes d’yeux resteraient braqués sur Harry. Une autre heure de gloire qui s’esquivait pour Ron, une autre illusion brisée par une cicatrice en forme d’éclair. Il ne savait plus où il en était avec ses émotions. Déception, colère, frustration paradaient en lui, prenant tour à tour le contrôle total. Il se mettait furtivement à trembler, puis étouffait aussitôt cette traduction. Cadfael s’était tu. L’on aurait dit qu’il attendait une quelconque réaction de sa part ; qu’il savourait – presque – ce conflit déchirant. En cet instant fugace, Ronald le détestait. Il le haïssait vraiment pour ce qu’il lui infligeait, à le rabrouer de manière très subtile, déguisant ses attaques derrière une parade de mots enjôleurs. Inconsciemment, le Gryffondor avait plongé une main dans sa poche, en retirant une baguette de bois sombre. Réalisait-il ce qu’il faisait ? La chose était impossible à dire. Sous le coup de la colère, il lui arrivait d’avoir des initiatives catastrophiques. Il fixa longuement les hautes étagères poussiéreuses, un résidu de honte lui embuant les yeux. Son bras pendait mollement le long de son corps. Il était stupide, stupide d’avoir pu se croire aussi important que les autres. Seule Hermione le voyait véritablement comme il était, les autres les distinguaient comme une simple ombre, celle du Survivant. Lentement, il pivota sur le libraire, une réplique purement acide dans la bouche.

- C’est très drôle, n’est-ce pas, de me… commença-t-il d’une voix sourde.

Sa mâchoire se bloqua en milieu de phrase. Cadfael l’observait avec une intensité proche de l’obscénité, les mains jointes du bout des doigts. Mais ce n’était pas cela, l’élément troublant. Sa baguette – la baguette du libraire – était posée à côté de lui. Un début de panique grimpa en Ron : pourquoi déposer son arme à proximité ? Etait-ce le geste de Ron qui avait entraîné une mise en défense réciproque ? Ou bien avait-il dans la tête de s’en servir à un quelconque moment de la conversation ? Le visage de Cad demeurait imperturbable. Ron leva le bras, pointant maladroitement sa menace sur l’individu.

- Je…

Que faisait-il ? Merlin, qu’était-il en train de faire ? C’était de la pure folie. Il était entré dans une situation complètement tordue et seule la chance pourrait l’en sortir.

- Pourquoi avez-vous sorti votre baguette ? demanda Ron en donnant une meilleure consistance à sa voix.

« Pourquoi as-tu brandi la tienne ? » allait sûrement être la réponse la plus logique.

Bon il n'aurait pas du se moquer de lui. Mais après tout, il était humain et la réaction du gamin était légèrement disproportionnée par rapport à l'offense. Même en prenant en compte le facteur Gryffondor. Cadfael lança un regard étonné sur la baguette de bois sombre pointée vers lui puis vers l'adolescent qui semblait à la fois furieux et perplexe.

"De te ?" demanda-t-il calmement, se demandant vaguement comment il allait justifier cette attaque aussi soudaine qu'injustifiée. Après tout il n'avait que réagit à ce que dégageait l'adolescent. La jalousie était quelque chose de compréhensible et ce n'était certainement pas son léger fou-rire qui l'avait insulté de la sorte non ?

Cad était toujours assit mais s'était entièrement tourné vers Ron. Il avait posé ses deux coudes sur ses genous, joint le bout de ses doigts fins et laissé son menton frôler ses ongles. Il regardait Ron, la baguette, la baguette, Ron, avec un léger sourire et une absence totale de peur ou dinquiétude. Cadfael avait confiance en ses capacités au point de ne jamais s'inquiéter lorsqu'on le menaçait. Après tout il avait bien tourné le dos a Bellatrix Lestrange elle-même lors d'un duel. Témérité ? Folie ? Arrogance ? Pas vraiment, il s'agissait plus de paresse en fait. Cad se fichait pas mal de recevoir un sort si c'était pour son Maître. Se laisser faire était souvent plus efficace que se défendre. Et puis il n'était pas très belliqueux de nature.

La menace se précisa mais la voix de Ron était toujours hésitante. Hum. Allait-il tirer ou pas ? Les Gryffy étaient souvent impulsifs, il le savait bien, il avait passé de nombreuses années à cacher ce trait de caractère. Au milieu de Serpentard, il ne vallait mieux pas se montrer comme étant un rouge et or.

Le sourire de Cadfael s'accentua en entendant l'accusation maladroite de Ron. En voila un qui voulait se justifier et peut-être essayer de le pousser à faire d'autres bêtises. Cadfael regarda tranquillement sa baguette et se leva pour faire face à l'adolescent.

"Lorsque je t'ai vu te lever brusquement j'ai cru qu'il y avait un problème alors je l'ai sortie, au cas ou. Lorsque j'ai vu ce qu'il en était, je l'ai posée a coté de moi. Ce n'est pas très agréable d'avoir une baguette dans sa poche lorsqu'on est assit."

La vérité avait toujours été sa meilleure arme. C'était ce qui le rendait imperméable au véritaserum par exemple. Il savait la contrôler et lui donner le meilleur éclairage possible. Cela dit, vu l'état de nerf du rouquin, il était probable que cela ne suffise pas. Il prit sa baguette d'un geste souple et la fourra dans sa poche, soit à portée de main mais pas degainée en geste d'apaisement. S'il lui lancait un sort il saurait réagir assez vite, il le savait. La rapiditié était l'une de ses principales forces.

"Allez range ça, personne ne veut te faire de mal ici."

On aurait pu croire que Cad s’en fichait royalement. De ses traits de moquerie ouverte jusqu’à la désinvolture de sa réponse. « De te… ? » Autrement dit « Vas-y, continue ta phrase, que je voie un peu ce que tu as dans le ventre ». Il était là, installé dans une attitude pontificale, comme sujet à une séance de photos pour Sorcières Hebdo. Calme. Confiant. Curieux, aussi. Trois « C » particulièrement odieux. Et pendant ce temps suspendu en plein vol, Ronald lui pointait sa baguette entre les deux yeux. Situation sans dénouement heureux. Un point crucial de non-retour venait d’être franchi. Très simplement, d’une manière presque imperceptible. Quoiqu’il advienne, quels que soient les discours qui s’ensuivraient, la magie allait fuser. Douce ou violente, cela découlerait du caractère de chacun. La question principale qui investissait à présent les esprits était « Qui, de Ron ou de Cad, en ferait usage en premier ? ». L’impulsif rouquin écouterait-il sa colère pour ouvrir le conflit ? Ou bien Cadfael userait-il de traîtrise pour prendre l’initiative ? Ronald évitait d’y songer. Il ne tremblait plus, mais frémissait de l’intérieur. Un cauchemar, cela ne pouvait être autre chose. Un véritable cauchemar. Ce soir, quand il réintègrerait la Salle Commune, tout serait réglé, il en était persuadé. Cette pensée furtive lui soulagea ses tripes malades. Ses tripes… Harry avait raison. Quand vous faites face au danger (Mais le libraire était-il réellement un danger ? Ou bien Ron créait-il sa propre situation ?) les connaissances accumulées ne comptent plus. Seuls demeurent les réflexes, ces structures solides qui renforcent votre survie. Juste une question de tripes, en effet. Et bon sang, Ronald aurait bien voulu se souvenir de tous les sorts qu’il connaissait. Mais une fois plantée en situation, la mémoire faisait défaut, ne se focalisant que sur la tension du présent. Ironique, n’est-ce pas ? Un néant en remerciement de cinq années d’études.

Cadfael ne bougeait toujours pas. Il conservait une apparence assurée, mais ses pupilles dilatées étaient empreintes d’une attention acérée. Et puis, dans un étirement totalement incongru, le libraire se mit à sourire. Il se justifia. Une pointe d’humour. Un flot de bon sens. Ronald aurait vraiment souhaité y croire. D’ailleurs, une partie de lui-même s’était déjà ralliée à cette explication. Son bras s’abaissa de quelques degrés. Allait-il donc effondrer toutes ses défenses ? N’allait-il donc jamais tirer de leçons pertinentes du passé ? La dernière fois qu’il s’était résolu à croire les dires d’un ennemi, c’était en deuxième année. Lorsque Gilderoy Lockhart avait feint l’évanouissement et que, intrigué, le Gryffondor abandonnât toute prudence. En moins de trente secondes, il s’était retrouvé complètement désarmé. Se risquerait-il une fois de plus à étaler une stupidité aveugle ? Non, pas cette fois-ci. Ce libraire lui inspirait beaucoup de choses complexes, mais en aucun cas n’y figurait la sincérité. Encore que s’asseoir sur sa baguette était réellement désagréable…

Dans un mouvement fluide, Cad fit disparaître son arme dans une poche, la maintenant à portée de main mais hors de vue.

_ Allez, dit-il doucement, range ça. Personne ne veut te faire de mal, ici.

Stupefix. Expelliarmus. Impedimenta. Protego. Incarcerem. Petrificus Totalus. Une véritable liste offensive émergea dans la tête du Gryffondor. Une remise au calme qui activait les compétences acquises ? Ou bien un signal d’alarme prêt à déclencher la bombe ? Tout se brouilla, se confondit. Peur, colère et concentration. Un mauvais mélange qui gonfla les pulsions de Ron. Sa guerre intérieure parcourut ses veines, palpita au bout de ses doigts, toucha le nerf de sa baguette, et provoqua une pluie d’étincelles dorées. Inoffensives mais impressionnantes. Ron recula rapidement, aveuglé pour un temps. « Je suis désolé » aurait-il voulu crier pour apaiser Cad. Mais…

On faisait quoi, maintenant ? QUE FALLAIT-IL FAIRE ? Tandis que le Gryffondor titubait, à moitié aveugle, vers ce qu’il espérait être la sortie, ses pensées se brouillaient. Eh mince ! MINCE ! Dans quoi s’était-il embarqué ? Tout n’était que ténèbres et confusions. La clarté d’un Charme du Bouclier illumina la pièce un court instant. Instinctivement, Ron brandit les bras aussi de sa tête. Il ne fallait pas se leurrer, un adolescent terrifié ne faisait pas le poids face à un adulte magiquement doué. Et dire que tout ça était la faute à Hermione. Elle et son stupide livre de Runes.

_ Expelliarmus !

Un flux rouge éclata dans les airs, heurta une étagère tout proche, provoqua un épanchement de volumes poussiéreux. Des reliures de cuirs volèrent en tout sens, des pages flottèrent mélancoliquement, des caractères d’imprimerie brisés entourèrent Ron de partout. Il était piégé dans un espace qu’il ne connaissait pas bien, se devant d’évoluer à l’instinct pour trouver une échappatoire. Cadfael était juste sur ses talons. Quel était le sort qu’il pouvait bien lui réserver, peu importait, il convenait de fuir sans un regard en arrière. Mais le souffle du libraire lui caressa bientôt la nuque.

_ Fumos !

Le maléfice de fumée aurait été un des derniers auquel Ronald aurait pu songer. Néanmoins, l’affolement du combat réveillait des ressources inattendues, sauvant bien des situations catastrophiques. Un véritable panache de vapeur noir enfla dans son sillage, dissimulant sa course. Ce ne serait pas suffisant, il le savait. Les deux vitrines lui faisaient face, à présent. L’une, présentant une lande désolée, l’autre, la rue bienveillante de Pré-au-Lard. Mais en ce moment même, le Gryffondor ne distinguait qu’une confrontation hâtive entre le bien et le mal. Il se rua sur la porte, voulant faire craquer ce panneau de bois. Mais la voie était définitivement close et le verrou refusait d’ouvrir.

_ Merlin, c’est pas vrai !

Dans une tentative désespérée, il fit fuser sa baguette :

_ Alohomo…

Un stupéfix vibra au-dessus de son épaule gauche, perçant l’écran de fumée sombre. Ron se jeta sur le côté, oubliant la plus simple notion de « sortilège » et s’engouffra dans le dédale d’étagères, bien décidé à s’y faire oublier.

Maintenant qu’il y songeait, incendier les manuscrits était une très mauvaise idée. Tout en filant, Ron avait senti la chaleur s’étouffer, diminuer. Sortilège de Gèle-Flamme, très certainement. Non seulement cette tentative s’était révélée inutile, mais en plus elle avait déclenché une colère sans nom du côté de l’adversaire. Non pas que Cadfael se soit mis à hurler ou à insulter ; mais quelque chose avait changé dans l’air. Une friction s’était produite, presque imperceptible. La lumière avait baissé. L’oxygène s’était fait poisseux, collant. Tellement collant que Ronald en avait l’impression d’être lourd. Se course décéléra doucement, ses mouvements se firent plus difficiles. En fait, il constata avec horreur qu’il commençait à véritablement adhérer au sol. Le plancher le retenait avec de plus en plus d’insistance, comme voulant le happer dans un enfer de bois ciré.

_ Montre toi ! tonna la voix du libraire.

Le cœur de Ron exécuta un saut périlleux, manquant de lui crever la gorge. Il voyait déjà Cadfael surgir au coin d’une étagère… il levait sa baguette… un éclair de lumière verte… le néant. Le Gryffondor céda à la panique.

_ Relashio ! Lashlabask !

Mais cette imperceptible glue conservait toute son emprise. Les bruits de pas se rapprochèrent, Ron tendit ses muscles et – dans un craquement sonore – il parvint à se libérer, laissant une basket derrière lui. Ses mains frôlaient à présent les murs, cherchant désespérément un point de fuite. L’arrière boutique, il devait trouver l’arrière boutique. Comme obéissant à sa supplique, une porte apparut dans une paroi, offrant un bref trait d’espoir. Il se jeta dessus, bourra le panneau d’un coup d’épaule, fit grincer les charnières, mais – encore une fois – tout effort fut vain. Sûrement un coup de l’Elfe. Nulle échappatoire. Aucune raison de se projeter dans l’avenir. Ronald ressenti cette vieille peur remonter en lui ; semblable à celle éprouvée trois ans auparavant, lorsque – perdu dans la Forêt Interdite – il s’était trouvé encerclé d’araignées. A ce moment crucial, il avait accepté le fait de mourir, tout comme il s’était juré de défendre chèrement sa peau. Le même état d’esprit vint se greffer sur ses craintes grandissantes. Et soudain, il se sentit calme, rassuré. Sa baguette levée, il patienta l’arrivée de l’Ennemi, prêt à déchaîner les maléfices.

Ce libraire était décidément charmant. Il vous dénichait les articles les plus rares en un clin d’œil pour ensuite vous les remettre avec un grand sourire. Oui, des gens comme ce… Cadfioul ? Cadelel. Cet homme. Des gens comme lui ne se rencontraient décidément pas à tous les coins de rue. Le seul autre individu que Ronald aurait pu lui apparenter était Lupin. Ce côté un peu secret, mais en même temps doux et chaleureux. D’ailleurs, Ron – qui n’aimait guère la lecture – s’était décidé à débourser de sa poche…

Non.

Les gâteaux étaient vraiment délicieux. Cet Elfe de Maison faisait des prouesses en matière de cuisine. L’espace d’un instant, le Gryffondor fut tenté de le cacher dans son sac et de l’emporter avec lui. Un petit esclave tout personnel, prompt à lui délivrer les pâtisseries les plus fines. Il était bien dommage de le savoir enchaîné à ce libraire…

Comment s’appelait-il déjà ?

Hermione lui avait demandé d’acheter un livre. Eh bien, il l’avait fait, à en juger par sa bourse vide et son sac rebondi. C’était un titre très étrange, d’ailleurs. « Les Mystères d’une Inversion Injustifiée ». Ironique. Ces notions d’Inversion et de Mystère paraissaient bien plus réelles à Ron qu’il ne l’aurait cru. Avait-il acheté un livre ? La matérialité lui affirmait que oui. La brume de son esprit ne s’en souvenait pas. La mémoire filait des méandres capricieux impossibles à sonder. C’était sans doute là que dormait le plus grand des Mystères.

Ronald ne se sentait pas bien. La tête qui tournait. Le regard troublé. La voix éteinte. Et surtout, les idées obscurcies. En baissant les yeux, il put distinguer une main tendue. S’il prolongeait le regard, il remontait le long d’un bras puissant et distinguait un homme au visage fermé. Bien sûr. Le libraire. Qui d’autre ? Une flamme muette dansait au fond de ses yeux, froide, calculatrice. Une flamme… Etait-ce une simple idée ou bien une vague odeur de brûlé flottait dans l’atmosphère ? Par instinct, Ron serra cette main tendue. Politesse incompréhensible.

- J'espère que vous trouverez cette lecture instructive.

Le Gryffondor sursauta. La voix de l’homme lui avait paru plus forte et proche qu’il n’aurait pu l’évaluer. Perte des notions. Cadfaal avait parlé d’une lecture. La main de Ronald caressa son sac en cuir. Oui, il possédait effectivement un manuel. Sûrement l’avait-il acheté. Il se sentait vraiment mal.

- Bonne journée Monsieur Weasley.

Bonne journée Monsieur Weasley. Lui avait-il donné son nom ? Il ne s’en souvenait pas. Ou il ne s’en souvenait plus. Peu importait. Ici, il convenait de répondre :

_ Me… merci.

Suivi d’un :

_ Au revoir.

Des mots supplémentaires auraient été superficiels, sans intérêt et dénués de toute crédibilité. D’un pas lent, ivre, le rouquin s’avança dans l’allée d’étagères, fixant pour objectif la porte d’entrée. Déjà-vu. Ou du moins le croyait-il. Il se sentait irrémédiablement attiré par l’extérieur et poussé dans le dos par le regard de Cadfiel. Comme un vent funeste. Quand il plia ses doigts sur la poignée du panneau, il faillit ne pas les reconnaître, tant ils lui parurent fins et éloignés. Un exécuta encore quelques pas, la fraîcheur du dehors le saisit, et il ferma un portail définitif sur les tréfonds de L’Ile Lettrée.

[Bon, eh bien, on dirait que c'est terminé ^^ Ce fut un réel plaisir.
Plaisir partagé !]