23 Septembre 1997,
1 heure du matin, Poudlard, Ecosse.
L'ambiance était sombre, légèrement inquiétante. Déroutante plutôt.
Plic, ploc. L'eau gouttait à intervalle régulier sur le sol de ses appartements, sans que ce bruit ne parvienne à la déranger. L'apprentie se tenait assise au bureau ayant jadis été celui du professeur Rogue, lorsque ce phénomène étrange et unique s'était produit. Les cheveux relevés en un chignon lâche, Cassidy travaillait depuis des heures, à la lueur d'une simple bougie. Le temps s'était écoulé sans qu'elle ne s'en aperçoive, tant elle était captivée et concentrée sur ses recherches. Penchée sur d'anciens parchemins, la sorcière tentait de décrypter des runes avec attention, et un léger désespoir il fallait le le dire. Les sourcils froncés lui donnant un petit air sévère, elle se mordillait la lèvre tout en réfléchissant. Peut-être faudrait-il qu'elle arrive à débusquer le professeur d'études des runes un de ces jours. On le disait impressionnant, mais également concerné par la réussite de ses élèves, peut-être accepterait-il de lui venir en aide ? A côté des parchemins se trouvait une feuille blanche, traversée de diverses notes organisées. Selon son organisation à elle, bien entendu. Le regard plongé dans les pages jaunies, la main écrivant presque de manière automatique sur l'autre, le spectacle était intriguant. D'autant plus que la Rowle ne daignait pas jeter un œil à ce qu'elle écrivait, et à raison. Son écriture, fine et serrée, était parfaitement droite, comme si le papier avait été pourvu de lignes imaginaires. Vivement, sa main rédigeait sans relâche, sans former de réelles phrases, notant juste des idées qui lui semblait pertinentes. L’Élixir de longue vie... Quel vaste sujet.
La plume qu'elle tenait fermement dans sa main, était longue et noire. Fine. Son glissement sur le papier était légèrement rugueux et son maniement quelque peu rigide, mais la jeune femme avait fini par s'y faire. Elle aimait cette plume, et celle-ci n'était pas la sienne. Alors que la sienne avait rendu l'âme tant cette dernière lui avait servi l'année dernière dans ses études, Cassidy avait entreprit de retourner tout le bureau à la recherche de son salut. Il fallait reconnaître que quand Rogue débarrassait les lieux, il débarrassait les lieux. Plus rien ne traînait : les étagères avaient été vidées, les bocaux emportés, les notes jalousement gardées. Le bureau était vide. Comme si personne n'y avait jamais logé. Et pourtant, la jeune femme savait que cet endroit avait été le seul dans lequel le maître des potions avait eu le loisir d'évoluer en toute liberté. Loin des regards indiscrets, des remarques déplacées. Ici, dans ce cachot sombre et lugubre, Severus Rogue avait vécu. Ce fait s'était d'ailleurs confirmé lorsqu' à la recherche d'une plume, elle avait fini par retrouver celle avec laquelle elle écrivait désormais, au fond d'un vieux tiroir poussiéreux. Au premier coup d’œil, la blonde avait eu des soupçons quant à son ancien propriétaire. Fine, longue, noire. Pointe aiguisée. Ses soupçons s'étaient confirmés lors des premières utilisations où le maintien s'était avéré difficile à saisir. Plusieurs fois, elle avait perforé ses parchemins tant la plume avait pour manie de griffer le moindre appui trop prononcé. Un nombre incalculable de fois elle s'était également piquée les doigts tant la pointe semblait acérée.
Défensive. Malgré cela, Cassidy n'avait jamais renoncé. Elle apprendrait à écrire avec. A force de patience et de persévérance, la tension entre la plume et la sorcière semblait s'être apaisée. La jeune femme avait su s'adapter au caractère rigide de la plume qui semblait à son tour s'être assouplie.
Elle écrivait rapidement, sans relâche. Imperturbable... Ou presque. Le phénomène était arrivé tel un colis piégé, à une heure du matin. Lentement, la porte restée entrebâillée s'était ouverte, ne parvenant pas à attirer l'attention de la jeune femme. Puis, il était entré. Lentement, se déplaçant avec un port de tête altier, sûr de lui. Un
paon. Oui, oui. Un
paon. Immense, d'un blanc immaculé. Seulement, Cassidy était tellement absorbée qu'elle ne l'avait pas aperçu de suite. Ce fut seulement lorsqu'il arriva juste à côté d'elle qu'elle tourna la tête. Pause. Silence. Bug cérébral. Clignements anormaux des paupières. Rapides, très rapides. Sa main restée suspendue dans les airs, située à un demi-millimètres du papier, continuait de manière automatique à tracer des lettres dans le vide. Sous le choc, la bouche de la jeune femme s'ouvrit légèrement. Un
paon.
« Que... Qu'est-ce que... » Merlin. Un
paon. Patiemment, le volatile semblait attendre qu'elle ne reprenne contenance, restant posé sagement à ses côtés. Rien à voir avec le hibou féroce que Rogue lui avait envoyé deux jours auparavant. Lentement, la sorcière posa sa plume, avant de se pencher vers l'oiseau dont les plumes s'avéraient être plus douces que le coton. L'animal ne s'offusqua pas lorsque les doigts féminins durent s'y reprendre à deux fois avant de parvenir à détacher la missive qu'il portait nouée délicatement autour du cou par un ruban rouge cardinal. Une fois que cela fut réalisé, la majestueuse créature se détourna d'elle avant de repartir avec un naturel et une aisance peu commune, de là où il était venu.
« Un paon... » Elle n'avait jamais vu ça de toute sa vie. Un paon apporter du courrier. Une première dans l'histoire de la sorcellerie, à coup sûr. Secouant vivement la tête, Cassidy observa l'enveloppe avec attention, vérifiant que celle-ci lui était bien adressée, ce qui était le cas. Fronçant les sourcils, elle observa attentivement le
cachet de cire dorée qui maintenait la missive fermée. Une lettre. Un
H. Lentement, la lumière vint peu à peu éclairer son regard turquoise jusque là totalement déboussolé.
Octavius. Merlin, elle savait que le brun tendait vers l'exagération mais au point de lui envoyer un paon ? Un sourire se dessina sur ses lèvres tandis qu'elle ouvrait la lettre. Décidément, cet homme infernal n'avait pas fini de la surprendre. Peut-être souhaitait-il récupérer les vêtements qu'elle lui avait subtilisé quelques jours plus tôt ? Cassidy déplia avec soin la missive et commença sa lecture.
Plic. Ploc. Plic. Ploc. Les gouttes d'eau tombaient.
Plic. Ploc. Plic. Ploc. Les sourcils se fronçaient tandis que les mains se crispaient. Le papier se froissa légèrement.
Plic. Ploc. Le regard s'assombrissait tandis que le visage perdait de ses couleurs. Merlin... Comment était-ce possible ? La signature apposée à la fin de la lettre lui fit l'effet d'une guillotine lui tranchant la gorge. La mère avait rappliqué.
Vivienne Holbrey. Lentement, Cassidy se leva. Il fallait qu'elle marche. Du mouvement. Elle avait besoin de mouvement. Sentir son corps entrer en action, se libérer de cette passivité dans laquelle cette lettre la plaçait. Comment était-ce possible ? Merlin, elle soupçonnait que sa petite excursion aux Trois-Balais le trois Septembre avait été repérée, mais de là à ce que la mère du bibliothécaire lui fasse parvenir un courrier... Non, rien n'aurait pu l'y préparer.
« Enchantée Madame Holbrey... , souffla-t-elle, en relisant pour la troisième fois la missive tout en marchant de long en large, ravie de faire votre connaissance également. » Plus elle parcourait la lettre, plus le sang bouillait dans ses veines. Si les premiers paragraphes ne l'avaient point irritée, allant même jusqu'à obtenir une certaine considération de sa part, l'avant dernier paragraphe anéanti tous les efforts de Vivienne Holbrey. L'impression d'être en train de lire une missive écrite par son propre père, lui dictant où était sa place, et son rôle. Qui elle devait fréquenter, qui elle se devait d'expulser de sa vie. Quelqu'un désirant tout diriger, jusqu'à son avenir. L'esprit de contradiction, le goût pour le défi... Mère Holbrey ne croyait pas si bien dire... Elle pensait avoir frappé à la porte d'une Rowle ? Elle allait s'en mordre les doigts. La jeune femme ne put retenir un rictus de dégoût. La lettre empestait l'hypocrisie et la fausseté, à un tel point que cela lui donnait la nausée. Les excuses d'amour maternel à deux noises. Le style pompeux et raffiné lui donnait envie de vomir tandis qu'elle sentait la migraine arriver. Fausseté, superficialité. Tout ce qu'elle ne pouvait supporter. Comment Vivienne Holbrey pouvait-elle prétendre s'inquiéter pour l'avenir de son fils en agissant de la sorte ? Le contrôle, la domination. Voilà ce qu'elle paraissait réellement rechercher. Ce n'était pas son fils qu'elle protégeait réellement, non. C'était elle-même. Comment pouvait-elle prétendre agir pour la cause de son fils en lui dépeignant un tableau si peu flatteur de ce dernier ? Parler de lui en terme de
"personnage" lui donnait l'impression qu'elle tenait entre ses mains un simple patin de bois. Elle était donc là, la marionnette. Octave le pantin était contrôlé par sa mère ayant créé un personnage et devant le garder sous son emprise. Marionnettiste diabolique. Comment pouvait-elle prétendre agir dans l'intérêt de son enfant en le dépeignant de façon si pathétique en en faisant un homme faible et faux, apathique, manipulateur, ne pouvant se contrôler, dangereux, prêt à s'effondrer à tout instant devant des femmes
- multiples si l'on en croyait - qui s'en étaient toutes mangé les doigts.
" Des projets emplis de vices et d'obscénités "... Comment pouvait-elle prétendre, ne serait-ce que le respecter ? La lecture entre les lignes était plus terrifiante que la lettre elle-même. Elle ne faisait que parler de statut, de rang, de fortune, de nom, de
réputation. Où était donc l'amour maternel ? Une mère aimante ne se serait pas basée sur de tels arguments. L'amour maternel était bien le seul et l'unique que Cassidy n'ait jamais connu, et si elle était certaine d'une chose, c'était que Vivienne Holbrey n'avait rien d'une mère aimante et désintéressée.
Brusquement, dirigée par une pulsion de haine, Cassidy saisit sa baguette reposant sur le bureau et leva celle-ci vers la lettre, mais alors qu'elle allait enflammer la missive, elle suspendit son geste. L'impulsivité menait à la perte. Elle devait se contrôler, analyser les événements et réfléchir. Si une chose était pertinente dans cette lettre, c'était qu'elle était une Rowle. Merlin, elle se devait de réagir en tant que tel. Inspirant profondément, la blonde se rassit à son bureau, posant la lettre infernale sur ses notes. Les yeux fermés, elle se força à expirer longuement. Inspirer. Expirer. Ne pas laisser Nehal s'exprimer. Comment osait-elle la menacer de la sorte ?! Vivement, elle rouvrit les yeux dans lesquels brillait une flamme de défi. Comment cette femme osait-elle interférer de la sorte dans la vie de son fils et dans le sienne avec ce masque d'hypocrisie ?!
Respire Cass', respire... C'est une mère, une mère qui... Veut tout diriger ! Oui, oui, mais peut-être aime-t-elle son fils à sa manière... Certes. Néanmoins, elle l'avait menacée. Et une Rowle ne pouvait tolérer cela.
Lentement, Cassidy repoussa ses notes et rangea les documents qu'elle étudiait quelques minutes auparavant avec passion. Le mémoire patienterait, quelque chose de bien plus complexe l'attendait. Avec précaution, la jeune femme trempa la pointe de la plume qu'elle s'était appropriée, dans l'encre noire, et commença à écrire. Retour à l'envoyeur. Que lui avait dit Rogue ? Penser comme une Rowle. Comme une fière sang-pur.
- Spoiler:
Poudlard, 23 Septembre 1997,
1 heure trente cinq du matin.
Madame,
Je suis particulièrement enchantée également de faire votre connaissance de cette façon, si polie et distinguée, vous en conviendrez. Pour une personne souhaitant faire preuve de pragmatisme bienveillant
- pour vous citer, je trouve cela particulièrement osé de votre part de me faire parvenir une missive d'une telle ampleur en ne vous basant que sur quelques rumeurs provenant d'une personne que vous jugez de confiance, mais qui fréquente apparemment impunément des établissements aussi dépravés que peuvent l'être certains petits pubs de quartiers réservés à la gente populaire.
Je tâcherai d'être plus
directe que vous. Je suis véritablement outrée, Madame, que vous puissiez non seulement vous baser sur ces rumeurs, mais également que vous osiez prendre la liberté de m'envoyer une telle missive, n'ayant aucun scrupule à me déranger dans mes études de potionniste, au lieu de prendre contact avec le principal concerné ; votre fils. Votre plume, raffinée et agréable à lire, devrait révéler un esprit semblable, or cela ne parait guère être le cas puisque vous ne semblez pas capable de faire les bons choix ; à savoir en discuter avec Monsieur Holbrey. Concernant ce dernier, je ne saurai être plus claire en vous affirmant, bien que je ne devrais même pas prendre la peine de le faire, que vous vous méprenez totalement, ce qui n'est finalement guère étonnant pour une personne se fiant à des rumeurs de bas étage. Je ne nierai pas que j'étais bien avec Monsieur Holbrey le soir du trois Septembre, aux Trois-Balais pour être plus précise. Néanmoins, ce qu'il s'est passé entre lui, l'inspecteur et moi lors de cette soirée ne saurait relever d'autre chose que du domaine professionnel, et ce même en dépit de l'apparence qu'une fuite par la fenêtre puisse conférer à la situation, j'en conviens.
De part mon statut, je ne devrais même pas chercher à me justifier auprès de vous, mais si je prends la peine de vous répondre aujourd'hui, c'est uniquement dans l'intérêt de ne pas attirer la disgrâce sur le nom et les valeurs de ma famille, et parce que mon éducation noble et les manières y étant associées m'y poussent. Oser déranger mon père, Andreas Rowle, brillant potionniste réputé et qui plus est, fervent partisan du Seigneur des Ténèbres, alors qu'il a bien d'autres choses à gérer que ces rumeurs pathétiques, ne saurait vous servir, Madame.
Voyez-vous, la subtilité que vous semblez renier, s'avère être extrêmement importante puisque votre informateur n'a su se baser que sur la forme de la situation pouvant s'avérer bien trompeuse, au lieu de se pencher sur le fond ; son contenu. Néanmoins, je saurai être clémente et ne pas vous en tenir rigueur, percevant malgré tout votre sensibilité maternelle. Sachez donc, Madame, qu'il n'y a rien entre votre fils et moi. Ni de mon côté, ni du sien. Pour ma part, je ne saurai être capable de ressentir autre chose qu'une froide indifférence envers lui. Notre relation reste uniquement professionnelle, nous nous côtoyons parce que nous y sommes obligés et cette soirée avait été orchestrée de toute part dans un but qui ne vous concerne en rien, puisque celui-ci sert les intérêts de l'école.
Si je puis me permettre de vous soumettre une idée qui me semble pour le moins intéressante ; peut-être serait-il temps de laisser votre fils vivre sa vie et obéir aux ordres qui lui sont donnés, et de cesser de vous dissimuler derrière une l'argument d'une protection maternelle pour vous protéger, vous. Si votre fils est votre chair, il n'est pas vous. Nos deux familles sont trop différentes comme vous l'avez dit vous-même, et nous ne nous rencontreront effectivement jamais. Il ne s'agit en effet que d'un froid réalisme mais également d'une certaine aberration devant le fait que vous ayez pu ne serait-ce qu'imaginer que je puisse envisager une telle alliance ce qui suggérerait de pervertir à jamais la lignée pure de la famille Rowle ; l'une des vingt-huit familles de Sang-Pur, les vingt-huit sacrées, appartenant au
Registre des Sang-Pur rédigé par Teignous Nott, en 1930. Quant à oser remettre en doute mes convictions personnelles et mon pragmatisme, mon devoir m'oblige à vous suggérer de reconsidérer plutôt les vôtres : Posez-vous la bonne question, Madame, agissez-vous pour votre fils, ou pour vous-même en vous servant de lui ? De plus, si vous n'avez pas de prises sur lui concernant certains sujets, peut-être serait-il plus pertinent pour vous de vous questionner sur les raisons de cela, au lieu de perdre votre temps en paroles inutiles et à menacer une membre de la famille Rowle, alors même que vous ignorez tout de la situation réelle.
Maintenant que les choses sont claires entre nous, je vous saurais gré de ne plus vous mêler de ce qui ne vous concerne en rien et de ne pas interférer dans les affaires relevant de l'autorité de Poudlard même.
Si j'ai su apprécier la grandeur et la distinction de votre magnifique paon, j'aurais espéré que le contenu de votre lettre le soit tout autant.
Bien cordialement,
Cassidy Rowle.
Lorsqu'elle reposa sa plume, la jeune femme était livide. Les trois-quarts du contenu de la lettre était en totale contradiction avec les idéaux qu'elle défendait intérieurement. Néanmoins, si écrire cela la rendait réellement malade, et avait été si difficile pour elle, cela signifiait également quelque chose de très encourageant : elle avait été capable de penser comme une Rowle. Alors qu'elle pliait soigneusement la missive, la jeune femme se saisit de sa baguette et la pointa en direction de cette dernière en marmonnant une incantation hindoue. Désormais, une fois lue, la lettre s'autodétruirait. Protéger ses arrières. Quant au reste, peu lui importait ce que Vivienne Holbrey avait écrit au sujet de son fils, ce qui l'intéressait n'était guère ce que l'on disait des personnes, mais ce qu'elles étaient réellement, et vouloir étudier avec Severus Rogue illustrait parfaitement cet état d'esprit.