Klarissa était arrivée à la boutique un peu plus tard que d'habitude ; se sentant joyeuse sans raison apparente ce matin, elle avait pris tout son temps pour prendre son petit déjeuner, boire son café, prendre une douche, etc...Elle avait discuté avec Karna une bonne demi-heure, de tout et de rien, tout en rangeant quelques ingrédients qui venaient d'arriver. Une journée comme les autres finalement. Son premier client du matin, un jeune homme qui avait besoin de limaces cornues, avait été particulièrement étonné d'entendre l'apothicaire se mettre à chantonner alors qu'elle préparait sa commande.

Dès qu'il fut sorti, elle se précipita dans l'arrière-boutique. Cet endroit lui servait de lieu de repos autant que de réserve privée, pour les ingrédients à garder en lieu sûr, et de laboratoire, lorsque lui prenait l'envie d'essayer quelque chose. La dernière fois que Prosper était venu à la boutique, il avait suggéré une petite redécoration intérieure de l'arrière et comme Klarissa n'y connaissait pas grand chose, elle l'avait laissé faire. Depuis, elle possédait un canapé et deux fauteuils de velours rouge, ainsi qu'une petite table basse. C'était joli, bien qu'un peu à l'étroit...Enfin.

La jeune femme se laissa tomber sur l'un des fauteuils et ferma les yeux. Depuis quelques temps, elle se sentait bien. Elle avait l'impression que sa vie retrouvait un sens : cela avait plusieurs avantages, mais quelques inconvénients. Premièrement, allez savoir pourquoi, être heureuse l'empêchait de dormir normalement. Elle passait une partie de la nuit à se demander pour quelle raison elle était de bonne humeur, même si au fond elle le savait très bien. La sorcière ne voulait simplement pas se rendre à l'évidence...

Le bruit de la porte la sortit de ses rêveries et elle ouvrit les yeux sans pourtant bouger de son fauteuil. Un client. Après quelques instants, elle se décida à se lever ; elle espérait au moins que ce soit quelqu'un d'intéressant. Si ce n'était pas le cas, elle fermerait la boutique pour une heure, peut-être deux, et retournerait se reposer. Dès que la jeune femme posa un pied hors de l'arrière-boutique, le sourire qu'elle affichait au début de la matinée lui revint. Cadfael se trouvait là, adossé au comptoir. Il y avait peut-être quelqu'un, quelque part, qui entendait ses prières finalement : elle avait demandé quelqu'un d'intéressant et son souhait avait été exaucé.

Tout en reprenant son calme, elle se dirigea vers le comptoir où elle s'accouda, le sourire aux lèvres.

« Que me vaut l'honneur de votre visite aujourd'hui ? », lança-t-elle à l'improviste.

Cadfael était revenu souvent depuis sa première commande. Et malgré le fait qu'elle refusait de se l'avouer, Klarissa attendait chacune de ses visites avec impatience.

Quelle que soit la raison de sa venue aujourd'hui, il semblait de très bonne humeur. Peut-être avait-il reçu une bonne nouvelle ? La dernière bonne nouvelle qu'avait reçu Klarissa était celle de la grossesse de Cassandra. Mais cela représentait aussi certains inconvénients comme les crises que la jeune femme n'hésiterait pas à faire pour un oui ou un non...Ce serait une période horrible, décidément. La jeune femme devrait se tenir loin pour ne pas perdre la tête.

Pour en revenir à la situation présente, malgré sa gaieté, Cadfael semblait embarrassé. Depuis la toute première rencontre, l'apothicaire observatrice avait réussi à reconnaître les signes et se demandait ce qui pouvait le mettre dans un état pareil. Pas sa présence tout de même ? À moins que sa demande était gênante...? Un autre truc illégal peut-être ? Dans ce cas, il n'avait pas à s'en faire, Klarissa aimait bien prendre des risques pour lui les clients.

Klarissa attendait patiemment qu'il se décide à parler. Après tout, plus cela lui prenait de temps, plus il restait donc...Donc.

- Voila, j'ai été invité à une soirée mondaine, ou un bal, enfin donnez lui le nom que vous voudrez, chez un ami. Lucius Malefoy. Je ne sais pas si vous avez entendu parler de lui. Vous avez des sangsues ?

La sorcière resta abasourdie un moment, puis elle repassa lentement les phrases dans sa tête. Un bal chez Lucius Malefoy ? Quel évènement ! Cela promettait de faire beaucoup parler. Elle avait déjà entendu parler des Malefoy, de leur fils par son cousin et de Mr. et Mrs. Malefoy par diverses connaissances...Mais pourquoi Cadfael parlait-il de son invitation ainsi ? Enfin, peu importe, puisqu'il venait comme tant d'autres fois de changer de sujet. Avec un petit sourire, elle contourna le comptoir.

« Bien sûr que j'ai des sangsues. », dit-elle avant de se diriger vers une étagère.

Elle passa son index sur plusieurs bocaux avant de trouver le bon et le ramena au comptoir.

« Et combien en avez-vous besoin ? », demanda Klarissa comme s'il s'agissait de n'importe quoi d'autre.

Au début de sa scolarité, elle trouvait profondément dégoûtant le fait de manipuler des limaces et des sangsues, elle avait toujours détesté ces bestioles et encore plus le fait de devoir s'en servir. Par contre, elle s'était habituée avec le temps et se chargeait maintenant de ces commandes avec une indifférence totale. Elle continuait de sourire en pensant à Cadfael aux sangsues et n'osait pas dire un mot de plus, se questionnant tout de même sur cette histoire de bal.

Ah, les sangsues. Est-ce que l'on disait "insecte" ou bien ces bestioles faisaient parties d'un autre groupe ? En tout cas, c'était un ver. Un ver dégoûtant et sanguinaire ; pas dans le sens figuré. Entre les limaces et les sangsues, la sorcière préférait les limaces. Les limaces cornues étaient assez semblables aux limaces communes, mis à part le fait qu'elles étaient cornues...Elles étaient mignonnes en plus, avec leurs petits yeux placés trop haut sur leurs petites tentacules. Ah ces gastéropodes qui lui permettaient de penser à vraiment n'importe quoi !

Cadfael déplaca le bocal de quelques centimètres avant de parler. Mais il ne lui répondit pas au sujet des sangsues. Il continua plutôt au sujet du bal. Alors il voulait vraiment en venir à quelque chose...Mais, attendez, était-ce...une invitation ? À cette pensée, Klarissa eut une bouffée de chaleur. Elle ? Aller à un bal ? Mais il n'y pensait pas réellement ! Elle n'avait rien d'une fille qu'on invite dans une réception aussi...aussi grande. Elle n'était pas très sociable, ni bavarde, on la trouverait certainement inintéressante !

Elle prit un moment avant de capter qu'il avait besoin de cinq sangsues et sortit une très petite boîte en verre pour y mettre les petites créatures. Alors qu'elle s'affairait, elle entendit Cadfael parler de la propriété des Malefoy et de leurs réceptions..."Vous y êtes déjà allée ?" résonna dans son esprit avant qu'elle ne trouve quelque chose à répondre.

« Je...Non, je n'ai jamais eu l'honneur d'être invitée... »

La jeune femme esquissa un sourire en déposant sur le comptoir la petite boîte et se félicita mentalement de ne pas avoir trop bégayé. Après tout, elle aurait pu faire bien pire. Surtout qu'elle voyait maintenant où Cadfael voulait en venir. À moins qu'elle ne se fasse des idées ? Oui, c'était sûrement ça. Pourquoi serait-elle invitée dans une telle soirée ? Elle, une simple apothicaire de sang-mêlée ?

De plus, elle ne savait pas danser. Elle eut une pensée pour le mariage de Cassandra, auquel elle s'était follement amusée...De façon sarcastique, bien entendu. Elle n'avait pas dansé, mis à part avec Tobias qui avait insisté vers la fin de la soirée. Résultat : elle lui avait écrasé deux fois les orteils et avait fini par se ramasser par-terre. Et comme si ce n'était pas assez, elle avait attrapé le bouquet de la mariée. Par erreur, entendons-nous. Un bal n'était pas comme un mariage, mais elle risquait pire, puisqu'elle ne serait pas seulement avec sa petite famille...Les Malefoy étaient des gens importants tout de même.

« Voilà vos sangsues. », fit-elle, souriante malgré tout, en lui tendant la petite boîte.

De quoi aurait-elle l'air si elle se ramassait devant tout le monde ? À moins qu'elle ne danse pas ? Oui, c'est ça, elle n'allait pas danser. Elle se contenterait de discuter un verre à la main et ferait comme si elle faisait vraiment partie de cet univers-là, comme si elle avait l'habitude des réceptions. Mais de quoi elle parlerait ? Là encore, question difficile puisqu'elle n'avait rien d'intéressant à dire ! C'était triste à pleurer. Elle avait une vie loin d'être palpitante. Aucun ragot à rapporter, aucun potin à partager...Elle n'allait tout de même pas parler de ses ventes à la boutique !

Bon, finalement, elle serait belle et silencieuse. Belle ? Oh mais oui, il lui fallait une robe aussi. Or, elle n'avait rien d'assez joli pour aller dans une réception. Sa garde-robe recelait de beaux tissus mais pas de robes assez élégantes pour se rendre dans une soirée. Surtout chez les Malefoy. Elle ne pouvait pas se permettre d'être habillée de façon banale, comme dans la vie de tous les jours. Que penserait-on d'elle ? Peut-être même ferait-elle honte à Cadfael en plus !

- Est-ce que cela vous dirait d'y aller avec moi ?

Klarissa figea. Elle aurait été moins angoissée de se battre en duel contre Lord Voldemort à l'instant. Quand était-ce la dernière fois qu'elle avait porté une robe de soirée ? Le mariage, oui. Un désastre donc. Ça n'était pas très bon comme exemple. Et la fois d'avant ? Hum...Un bal donné à Poudlard sûrement. Elle avait certainement eu l'air ridicule de toute façon.

- Merci. Chez Lucius je veux dire. Je pourrais vous le présenter. Il fait un peu peur au début mais quand on le connait c'est un chouette type. Un de mes plus anciens amis.

Lucius était un ami proche de Cadfael ? Oh mais alors elle aurait l'air doublement, voir triplement stupide si elle faisait une bêtise !

« Oui !! Euh...Je veux dire...Oui...Oui, je serais ravie de vous accompagner. »

Elle se serait volontairement tapé le front quelque part à l'instant. Bon sang, elle aurait pu être moins...gamine. Klarissa eut la fâcheuse impression qu'elle avait eu l'air d'une adolescente surexcitée. Et tous les inconvénients ? La robe ? La danse ? La discussion ? Basta ! De futils détails qu'elle pouvait aisément règler. De toute façon, les occasions précédentes de porter une robe et de danser ne lui plaisaient pas particulièrement. Cette fois par contre, c'était différent. Elle souriait de nouveau, de façon presque béate, ce qui lui arrivait rarement. Mais pour une fois, elle se donna l'autorisation d'avoir l'air très heureuse.

Elle avait définitivement plus heureuse encore qu'elle ne l'avait jamais été. Ah non, elle avait eu le même genre d'expression lorsqu'elle avait reçu la lettre de Poudlard des années auparavant. Même cette journée qu'elle avait passé à Pré-Au-Lard avec le beau Dustin Stapleton ne l'avait pas rendu aussi heureuse. Même le temps qu'avait duré sa relation avec l'irrésistible Nolan Bewley ne l'avait pas fait sourire ainsi. C'était le sourire qu'elle réservait aux trucs qui faisait danser son coeur de joie.

Et cet évènement faisait tout particulièrement danser son coeur ; il dansait bien au moins lui ! C'était une sorte de valse comme s'il voulait s'échapper de sa poitrine et montrer à quel point il était heureux. Seulement, s'il faisait ça, la jeune femme ne saurait pas trop où le ranger ensuite et n'aurait pas la force de se rendre à la réception si son coeur traînait dans un tiroir...Bref.

Klarissa profita du fait que Cadfael s'adosse au comptoir pour tenter de chasser de son visage ce sourire idiot qui lui donnait -de nouveau- l'air d'une adolescente. Ce n'était pas très digne de sa part, sauf que pour une fois, elle trouvait cela plaisant. C'était comme un...premier rendez-vous ? Non, non, non, ce n'était qu'une invitation à une réception donnée chez les Malefoy, entre...amis.

Elle fut ramenée à la réalité lorsque son compagnon parla du trajet. Transplaner ? Oh...En tout cas, ce serait mieux qu'un portoloin ou un balais. La sorcière supportait bien mal le premier et n'était pas douée pour le second. Et même si elle avait un peu peur de faire une erreur à cause de la nervosité, elle préférait encore transplaner que d'être malade ou de se casser le cou.

« Oui, 19h30, c'est parfait... », dit-elle, un peu vague.

Klarissa se demandait quel genre de robe elle porterait. Et quelle couleur elle la choisirait. C'était important qu'elle ne choisisse pas quelque chose de trop...clair. Quoique ce n'était pas tellement son genre le bleu ciel, le rose et le blanc. Tiens, pourquoi pas bronze ? C'était moins sombre que noir, moins clair que le doré, mais c'était joli. Oui, bronze serait parfait.

Et si jamais elle ne trouvait pas ce qu'elle cherchait, il y aurait toujours un petit sortilège pour changer la couleur...De toute façon, il avait sûrement une robe dans ce monde qui soit de couleur bronze, simple, sans décoleté ou froufrous frivoles. Il existait sûrement une robe comme celle-là, non ? Son regard examinait une tache sur le comptoir, distraitement. Qu'est-ce que cela pouvait bien être...? Sang de dragon ? De salamandre ? Certainement pas de licorne puisqu'il était argenté...Peut-être un venin qui aurait creusé une sorte de trou dans le bois ? Elle gratta du bout de l'index...Non, c'était bien du sang de dragon. Quelle maladroite décidément...

Elle releva les yeux vers Cadfael et fut un peu surprise de voir qu'il s'était retourné et semblait maintenant inquiet.

- Vous êtes si pâle. Vous n'êtes pas malade au moins ? Vous voulez un verre d'eau ? Non, de vin peut-être ?

Touchée par son inquiétude, elle rougit un peu.

« Ne vous inquiètez pas, je suis seulement un peu fatiguée. J'ignore pourquoi mais je ne dors pas très bien depuis quelques jours...Mais je ne dirais pas non à un verre de vin. Je vais aller en chercher derrière... »

Elle contourna lentement le comptoir pour se diriger vers l'arrière-boutique, dans laquelle elle gardait deux ou trois bouteilles de vin.

En l'entendant poser la question, Klarissa reprit des couleurs. Cadfael se mit à sourire doucement, touché qu'elle se donne du mal pour retrouver des couleurs pour qu'il ne soit pas inquiet. Pas une seconde il pensa qu'elle pouvait simplement être surprise, touchée ou inquiète. Inviter Klarissa (même si c'était difficile) était naturel pour lui. Il ne se voyait simplement pas y aller sans elle.

Cad mentait mal, mais il savait cacher ses émotions...quand il s'en donnait la peine. En général il ne le faisait pas et son visage merveilleusement mobile etait comme une vitrine pour ses pensées. Sans parler des yeux qui, s'ils étaient comme on le dit souvent, le miroir de l'âme, reflétaient fidèlement celle de leur propriétaire. La seule chose qui sauvait le libraire était l'aveuglement de la jeune fille (qui était a peu près aussi fort que le sien) et le fait qu'il ignorait lui-même ses propres sentiments.

Pour le moment, l'inquiétude l'emportait sur la joie (qui continuait à faire battre son coeur sur un rythme de 'elle avait dit oui !'). Il avait les sourcils levés, les yeux petillants mais inquiets et le visage soucieux. Si elle tombait malade, non seulement il serait triste pour elle mais en plus elle ne pourrait pas venir Samedi ! Et jamais il ne trouverait d'excuses pour être à son chevet. Pas qu'il ai besoin d'excuses mais bon, hein ?

- Mais...comment ça ce fait ? Vous n'êtes pas malade au moins ? Vous êtes allée voir un médecin ? Les insomnies peuvent être très embêtantes.

Son ton était inquiet mais pas insistant. Presque neutre même. Il se faisait du soucis mais ne voulait pas se mêler de ce qui ne le regardait pas. Surtout maintenant qu'ils allaient se voir en dehors de cette boutique et parler d'autre chose que de sangsues. Pas qu'il aimait pas parler de sangsues mais il y avait plus important.

Il la suivit pensivement des yeux alors qu'elle faisait le tour du comptoir puis se décida à la suivre vraiment. Il l'accompagna jusqu'à la porte de l'arriere boutique mais n'osa pas la suivre à l'intérieur. Il se contenta de s'adosser au chambranle de la porte et de croiser les bras tout en la regardant.

- Pourquoi vous dormez mal ? Il y a quelque chose qui vous tracasse ?

Demanda-t-il d'une voix douce et calme après avoir laissé passé un moment de silence. Il était partagé entre l'envie d'insister et la peur d'être indiscret !

Mais il n'insista pas plus. Il regardait Klarissa s'activer, regrettant un peu d'avoir proposé du vin. Si elle lui en proposait, il ne pourrait pas refuser, or il buvait peu car il ne tenait pas du tout l'alcool. Et puis il était déjà ivre de joie, il n'avait pas vraiment besoin d'ajouter de l'alcool par dessus.

À ce qu'elle connaissait de la maladie, Klarissa pouvait dire qu'elle n'était pas malade. Un verre de vin et ensuite elle fermerait boutique pour le reste de la journée afin de pouvoir dormir tranquille. Voilà ce qui la remettrait sur pied. De plus, elle se sentait si heureuse que ses rêves risquaient d'être agréables pour une fois et son sommeil serait réparateur. Et puis, aller voir un médecin serait une perte de temps, pour elle autant que pour le médecin. Elle avait tout le nécessaire dans sa boutique pour se concocter un petit somnifère digne de ce nom qui l'endormait pour une bonne douzaine d'heures.

Mais où est-ce que les bouteilles se cachaient cette fois ? Pourtant, elle était certaine de les avoir rangées sous le bureau, là, dans cette armoire. Pourquoi n'y étaient-elles plus ? Peut-être dans cette armoire-ci alors...Non, pas là. La jeune femme se releva, épousseta sa robe et soupira bruyamment, agacée par le fait d'avoir perdu quelque chose d'aussi...évident à retrouver en général. Ce n'était pas comme d'avoir perdu une petite clé ou d'échapper un poil de Demiguise ! Elle prit sa baguette et récita clairement :

« Accio bouteille de vin ! »

Aussitôt, un fracas retentit et elle se retourna vers une armoire près du bureau qui s'agitait comme si une bête sauvage était coincée à l'intérieur. Klarissa haussa un sourcil et ouvrit la porte pour découvrir enfin les bouteilles de vin. Elles étaient solidement ficelées ensemble et la corde qui les retenait était fixée au fond de l'armoire. La sorcière eut beau tirer de toutes ses forces, rien n'y fit.

« Glu perpétuelle...Quel farceur... », grogna-t-elle en utilisant un sortilège de Découpe sur la corde.

Elle réussit finalement à sortir de l'arrière-boutique avec une bouteille de vin et adressa un petit sourire à Cadfael. Elle se dit qu'elle devait avoir l'air bien idiote, avec sa bouteille durement acquise et son petit sourire niais. Elle espérait que son compagnon mette cela sur le compte de la fatigue ou simplement de la joie...Non, il ne fallait pas non plus qu'il sache à quel point elle était heureuse de l'invitation.

« Si quelque chose me tracasse ? Non...Non, je ne crois pas... », dit-elle distraitement en retournant au comptoir.

Bien sûr que quelque chose la tracassait, mais Klarissa était trop entêtée pour se l'avouer à elle-même, alors l'avouer à quelqu'un d'autre, surtout à celui qui faisait en quelque sorte parti de ses séances de réflexion qui l'empêchaient de dormir...Pas question. Elle sortit deux coupes du deuxième tiroir -on trouve de tout dans un comptoir d'apothicaire semblerait-il- puis versa un peu de vin dans la première avant de relever les yeux vers Cad'.

« En prendrez-vous un peu...? »

Elle espérait qu'il dise "oui". Après tout, cela leur donnerait l'occasion de discuter un peu. Discuter de quoi, aucune idée, mais discuter au moins. Tiens, peut-être pourrait-elle lui parler de son futur projet, celui de retenter l'opération qu'elle avait appelé « Diplomatie avec les serpents ». Elle avait décidé de faire éclore un Runespoor dans l'arrière-boutique pour sauver sa tête droite...non, gauche. Enfin, sauver ses trois têtes. Non, ce n'était pas un très bon sujet de conversation finalement...Cadfael n'aimait pas les serpents après tout.

Peut-être avait-elle eu l'air stupide à chercher sa bouteille dans l'arrière boutique, peut-être son sourire était niait, peut-être. Mais Cadfael ne voyait rien de tout cela. Si on avait été romantique on aurait pu parler de l'éblouissement du libraire, du parfum de la jeune femme, des battements de coeur du mangemort, de cette chanson qui lui trottait dans la tête et qui rendait ce moment magique... Mais on est pas romantique n'est-ce pas ? Et Cad se demandait fébrilement de quoi il allait pouvoir parler maintenant qu'il avait épuisé le sujet des sangsues et de l'invitation.

Il aurait pu partir. Mais il n'en avait pas envie. Pour dire vrai il ne ressentait pas réellement le besoin de parler. Il lui suffisait d'être près d'elle. De l'entendre marcher, de la voir s'agiter autour de lui, pour être heureux. S'il avait eu un peu de recul, il aurait reconnu ce sentiment. Après tout, il l'avait déjà éprouvé avant. Mais voila, ce qui crève les yeux des gens alentours ne parait pas toujours évident quand on le vit. Et puis on a dit qu'on ne voulait pas être romantique.

Le fait est que Cad n'avait pas du tout bougé tout le temps qu'il fallu à Klarissa pour trouver la bouteille, et que seul son regard l'avait suivie vers le comptoir. Elle sortit deux coupes et soudain l'homme sentit sa gorge devenir sèche. Il avait soif. Il était nerveux. Il allait paraître idiot a ne pas savoir quoi dire. Lui qui était si bavard d'habitude ! Alors...un sujet de conversation...qu'aimait Klarissa ? Les montres en argent et les serpents. Oh ! Les serpents, mais bien sur ! Comment avait-il pu être si bête !

Il se décola du mur et revint poser ses coudes sur le comptoir.

- Juste un fond alors. Je supporte peu l'alcool et j'ai du travail ce soir.

Il sourit doucement

- Je ne suis pas sur qu'on continue à me permettre de fréquenter des élèves si j'arrive pompette. Si vous voulez m'excuser juste une seconde...

Il invoqua silencieusement un de ses elfes de maison qui apparu en moins de quelques minutes dans un crac sonore. CAd écrivit rapidement un mot sur un morceau de papier et se tourna sérieusement vers l'elfe. Il lui parla, sans méchanceté ni douceur.

- Va me le chercher et ramenne le moi ici. Mais n'y touche pas toi même. Demande à ... je crois que Midget est de service, sinon Loed de te le mettre dans un plastique.

L'esclave disparu sans un mot et Cad reporta son attention sur l'apothicaire. Ce qu'elle était belle. Comme il était fier de savoir qu'elle serait à son bras lors du bal ! Il était impatient comme pas deux et savait qu'il prendrait grand plaisir a rédiger sa lettre de façon a piquer le plus possible la curiosité de Lucius. Elle avait dit oui !

- J'ai quelque chose pour vous. Je ne puis vous le donner malheureusement car il appartenait à mon père, que je dois le transmettre après moi et qu'il s'agit d'un exemplaire unique mais je tiens à vous le prêter. Vous l'apprécierez bien mieux que moi.

L'elfe revint alors avec un livre emballé dans un plastique (Cad ne laissait jamais les elfes toucher ses livres). Il était relié d'un bleu/gris et décoré du blason des Stark. Son grand père l'avait fait faire pour son père lors des aspics de ce dernier. Sur la première page on pouvait voir, merveilleusement dessiné, un crocodile, le patronus de John James. Le livre en lui-même parlait des reptiles et de leur symbolique dans l'histoire. Toutes les créatures de ce groupe étaient xaminées à la loupe et chaque page était illustrée avec art. Ce livre avait vraiment était la prunelle des yeux du dernier sang pur direct Gynn ap Nudd.

La jeune femme avait déposé la bouteille tout près des deux coupes, dont l'une déjà remplie, et attendait sagement de savoir s'il allait rester avec elle. En fait, qu'il prenne ou pas un peu de vin, elle trouverait un moyen de le garder ici encore quelques instants. Peut-être pourrait-elle poser quelques questions au sujet du bal ? Non, non, trop angoissant, trop de questions qui lui échapperaient, trop de...Et voilà, son coeur se remettait à battre à cent milles à l'heure. C'était même dangereux d'y penser, il fallait qu'elle trouve autre chose. Elle baissa la yeux vers les coupes et se concentra sur celle qu'elle s'était servie, comme si elle voulait la faire éclater par la seule force de la pensée. Lorsqu'elle porta son regard devant elle, elle fut un peu surprise de trouver Cadfael accoudé au comptoir et lui adressa un sourire un peu gêné.

- Juste un fond alors. Je supporte peu l'alcool et j'ai du travail ce soir.

Elle nota son sourire, auquel elle répondit aussitôt.

- Je ne suis pas sur qu'on continue à me permettre de fréquenter des élèves si j'arrive pompette. Si vous voulez m'excuser juste une seconde...

Klarissa haussa un sourcil et reprit la bouteille de vin pour en verser un peu dans l'autre coupe. C'est alors qu'un 'CRAC' difficilement négligeable retentit, faisant sursauter la belle apothicaire qui renversa quelques gouttes de vin sur le comptoir. Elle posa la bouteille et jeta un bref coup d'oeil à l'elfe qui venait d'apparaître. Mais pourquoi est-ce que l'arrivée des elfes n'était pas aussi discrète que leur présence ? Il fallait toujours qu'ils fassent un bruit infernal en apparaissant. De quoi causer un infarctus à la pauvre femme. Elle sortit sa baguette et nettoya en un coup les dégâts sur le comptoir, puis versa finalement un peu de vin dans la deuxième coupe.

Elle écouta son compagnon avec une certaine curiosité, après tout, comment ne pas être curieuse face à de telles phrases. De quoi pouvait-il bien parler ? L'elfe réapparut alors en tenant, bien emballé dans un plastique, quelque chose qui avait tout d'un livre. D'un livre magnifique qui plus est. Klarissa posa les yeux sur la petite merveille, se repassant mentalement les paroles de Cad'. Alors ce livre était un exemplaire unique et un héritage familial ? Et il voulait le lui prêter ? Dans ses yeux sombres brilla une étincelle de joie ou d'un quelconque sentiment heureux possédant un sens plus intense encore que "joie", alors qu'elle fixait le livre toujours emballé sans oser y toucher. Elle semblait soit sur le point de crier de joie, soit sur le point de fondre en larmes ; un peu comme si on venait de lui offrir l'acte de propriété du château de Versailles sur un plateau d'or blanc.

Les yeux pétillants donc, elle reporta son attention sur Cadfael.

« Êtes-vous bien sûr que je puisse y toucher ? Je ne voudrais pas l'abîmer, c'est un héritage familial, il paraît si précieux...Mais que dis-je, il est précieux, j'ai tellement peur de le...déshonorer... »

Sa voix mourut dans un murmure alors qu'elle posait de nouveau le regard sur le livre, où figurait le plus joli crocodile qu'elle ait jamais vu. Quoi qu'elle n'ait pas vu beaucoup de crocodiles dans sa vie, celui-là semblait presque vivant sur la couverture. Un blason qu'elle supposa être celui de la famille décorait l'ouvrage et elle s'y attarda un instant, comme si elle examinait le plus beau trésor qui lui ait été donné de voir.