[INTRIGUE] Le récit de Hagrid

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La nouvelle était venue d’Hermione. Nette. Sans prémices, sans signe annonciateur. Pourtant, la réalité était bien là : Hagrid était de retour. Hagrid, le demi-géant, Hagrid, l’ami disparu et apparemment retrouvé. De revoir sa barbe hirsute frémir dans un sourire serait la plus belle récompense au bout de deux mois d’attente. Mais d’un autre côté, le pauvre allait sûrement crouler sous les questions et les reproches ; lui laissant peu de temps pour le répit du voyage. Sans lui, Poudlard avait semblé triste et vide – le mois d’octobre, même, s’était révélé plus morose que jamais. Halloween avait perdu de son cachet : pas de citrouille géantes pour cette année, pas de monstres particuliers à étudier pour fêter l’événement. Oui, c’était une âme entière qui avait délaissé Poudlard. Et aux yeux de Harry, Ron et Hermione, c’était un éventuel soutien face à Ombrage qui s’était volatilisé.

Le choc premier avait eu lieu à la rentrée. Par une habitude très pittoresque, les premières années se devaient de gagner le château par la voie des eaux. Un géant barbu aux airs bourrus les accueillait, les guidait jusqu’aux berges de Pré-au-Lard et négociait une traversée du lac en barque. Qu’il vente, qu’il grêle ou qu’il tonne, la tradition ne s’était jamais vue perturbée. En ce mois de septembre 1995, néanmoins, le temps s’était montré clément, le fond de l’air avait été chaud, mais aucun guide se s’était dressé par-dessus la foule de rentrée des classes. La silhouette massive de Hagrid n’avait pas surplombé les têtes, sa voix caverneuse n’avait pas résonné en un « les premières années, par ici ». Immédiatement, Ron s’en était trouvé mal à l’aise. Et le regard qu’il avait échangé avec Harry n’avait fait que confirmer cette anxiété grandissante. Car l’absence du garde-chasse ne pouvait rien présager de bon. Etant d’une nature résistante et combative, seul de graves événements pouvaient entraver Rubeus Hagrid. La maladie était à écarter car l’immunité des géants coulait dans ses veines. La mort était trop horrible à envisager. Mais la peine… la peine était une hypothèse des plus crédibles. Car sous des dehors inflexibles, Hagrid cachait une âme fragile et généreuse. Ainsi donc, la question s’était posée : avait-il subit un choc émotionnel tellement grave qu’il soit en incapacité de se déplacer ? Après tout, un article de cette abominable Rita Skeeter avait suffit pour lui démolir le moral… Et tandis que Harry et Ron avaient discuté de ces éventualités catastrophiques, le ton sec et autoritaire du professeur Gobe-Planche avait dirigé les premières années. Au son de cette voix indésirable, la tension s’était légèrement relâchée. Après tout, il y avait une remplaçante. Qui disait remplacement, annonçait prises de responsabilités. Et une prise de responsabilités ne pouvait suggérer qu’une chose : Albus Dumbledore avait parfaitement prévu l’absence de Hagrid et s’était donc débrouillé pour le remplacer un temps. Or, à partir du moment où Dumbledore se mêlait de quelque chose, une fin relativement heureuse se concluait.

La chose s’était vue confirmée au banquet de début d’année. Pas de Hagrid. Le visage grêlé de Gobe-Planche avait destitué sa place, remplaçant l’impression chaleureuse par un regard froid et inquisiteur. Dumbledore, en revanche, ne s’était trahi par aucun signe d’abattement ou de tristesse. Supposition fut donc renforcée : Hagrid allait bien mais ne pouvait répondre présent pour une raison tout à fait sibylline. Ce fut à peu près à ce moment-là que les lumières d’Hermione glorifièrent leur efficacité. « Et si Hagrid était encore en pleine mission pour l’Ordre ? ». Un raisonnement des plus évident ! Ron s’en était maudit de ne pas y avoir songé. Durant toutes les vacances d’été, il avait soupçonné le demi-géant d’avoir été envoyé loin dans les montagnes. Pourquoi, en revanche, il l’ignorait totalement. Même les Oreilles à rallonge n’avaient pu percer ce mystère.

Une semaine s’écoula. Les cours de Soins aux Créatures Magiques furent dispensés - Ô surprise ! – par le professeur Gobe-Planche. Et si cette dernière semblait ignorer la simple notion d’amabilité, elle comblait ce manque par une pédagogie sans faille. Précise dans ses discours, efficace dans ses mises en pratiques, elle parvenait véritablement à passionner ses classes. Ron lui-même s’était surpris à prêter un vif intérêt pour les licornes (créatures très sexistes, par ailleurs). C’était d’ailleurs là tout le problème… Hagrid s’étant forgé une réputation de « dangereux malade » (avait-on tord de le qualifier de la sorte ?), la cote de popularité de Gobe-Planche avait grimpé en flèche. « Avec elle, au moins, on ne risque pas de mourir toutes les trente secondes » disaient les uns. « Heureusement que l’autre est parti » confirmaient les autres. Ronald ne pouvait pas vraiment leur en vouloir. Il était particulièrement insensé de promener des Scroutts à Pétard ou de chevaucher des Hippogriffes aliénés. Et si le retour du garde-chasse se solderait par une effusion de bienvenue de la part d’Harry, Ron et Hermione, il en serait autrement pour le reste de l’école. Cela signifierait en effet le retour aux anciennes pratiques ; soit perdre un bras et devenir chauve précocement.

Enfin, dans une tentative désespérée d’obtenir des nouvelles fraîches, Harry avait questionné Sirius. Mais là encore, un mur d’ignorance se dressa. Impossible de dire où il était. L’on savait cependant qu’il s’était fait accompagner d’Olympe Maxime et que cette dernière était rentrée à bon port. Déception. Appréhension. Capitulation. Il avait alors convenu de laisser les choses venir. Car en dépit de tout ce que l’on pouvait dire, le temps apportait des réponses.

« Hagrid est revenu » venait de dire Hermione. Par trois mots, un équilibre précaire fut bouleversé. Ron, qui vivait une de semaines les plus noire de sa vie, eut l’impression d’être baigné par une éclaircie. C’était pourtant quelque chose d’assez simple, mais étrangement il eut l’impression que tout se remettait en place. Hagrid revenait, les sorties nocturnes sous la cape allaient recommencer… Peut-être même Ombrage allait-elle être exclue de l’école ! Ravi, il échangea un regard complice avec Harry. Un sourire se glissa sur leur visage. Tranquillité retrouvée. Retour à la normale. Sans réfléchir plus longtemps, Ron se leva d’un bond, abandonnant là sa rédaction d’Histoire de la Magie, et suivit Harry jusqu’au dortoir. Nouer son écharpe ne prit guère plus de trois secondes, redescendre dans la Salle Commune en demanda deux de plus, mais ce fut surtout Hermione qui les retarda. Frileuse, elle s’était vue pressée par le besoin de bien s’emmitoufler. Soit. Ronald en avait claqué la langue d’impatience. Même s’il faisait froid, l’amitié n’attendait pas. Harry déploya la Cape d’Invisibilité au-dessus d’eux et ils se plongèrent dans leur escapade nocturne. La première depuis longtemps. Ce n’est qu’une foi fouetté par l’air glacial du parc que Ronald se sentit empreint de légèreté. Sortir du château en pleine nuit avait quelque chose de symbolique : il s’agissait – en quelques sortes – de s’affranchir pour quelques heurs de la tyrannie d’Ombrage. Il neigeait. Les devoirs accumulés, les craintes quant aux B.U.S.E.s et les chamailleries entre élèves restèrent derrière lui, enfermées entre les pierres de l’école. Maintenant, il convenait de se projeter littéralement en avant, vers la cabane du gare-chasse. De la cheminée émanait une douce fumée qui s’élevait vers le ciel. Etrange volute de bienvenue. Brume de retour discret. La vision de cette marque d’activité égaya Ron bien plus efficacement qu’un Optimal à un devoir de potions. (Et encore, il n’y avait qu’Hermione pour en jouir pleinement.) Un rai de lumière dansait sous la porte, achevant de rassurer l’impatience du trio. Pressant le pas, se marchant sur les pieds l’un de l’autre, Harry, Ron et Hermione firent face à la cabane de Hagrid. Le cœur du Gryffondor battait à tout rompre. Tant de questions étaient à poser, tant de réponses se devaient d’intervenir… Harry frappa à trois reprises, Crockdur aboya, et ils attendirent dans la neige que s’élargisse la porte.

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L'absence d'Hagrid se faisait pesante dans l'enceinte de l'école. Depuis quelques temps, c'est un peu comme si la vie s'était arrêtée dans les pelouses de Poudlard. Plus de géant vagabondant, parfois suivi de Crockdur; plus de thé ou de bonbons à la menthe que Ron affectionne tant lorsqu'ils se rendent devant la cabane du garde-chasse, vide. Même les cours de soins aux créatures magiques ne sont plus les mêmes. Certes, ils sont mieux enseiognés du point de vue pédagogie, mais la pratique d'Hagrid et surtout sa présence manquaient au jeune gryffondor.

Cependant, en plein automne et après une journée de cours bien longue et ennuyeuse, Hermione leur annonça la bonne nouvelle par ces trois petits mots: "Hagrid est revenu". Voila comment trois mots pourtant insignifiants indépendament les uns des autres peuvent, une fois mis ensembles, échauder le coeur de trois jeunes élèves. Harry jetta un regard complice à Ron, suivi d'un clin d'oeil. Il fallait qu'ils y aillent et dès cette nuit. Il était impossible que cela se passe autrement. D'un bond, le gryffon se rua vers les dortoirs, très vite accompagné par Ron, qui lui aussi préférait revoir ce bon garde-chasse que rédiger un texte sur l'histoire de la magie.

Le temps de prendre des vêtements chauds et la cape d'invisibilité, le trio se rejoint en salle commune. Ces petites escapades manquaient tant à Harry qu'il en oubliait que le nouveau préfet était Ron lui-même. Au moins, il ne risquait pas de compromettre leur sortie. Ils se ruèrent vers le parc de l'école, excités par cette petite virée nocturne. Rien ne pouvait ternir leur engouement, pas même ce vent glacial qui fit frissoner le rouquin. La nuit promettait d'être longue et Harry ne tenait plus en place. Dès lors que les voila devant la cabane il frappa trois coups secs sur le bois, attendant la venue du demi-géant. Pour le moment, seul Crockdur répondit à l'appel.

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Aussi infailliblement que le chat se met à ronronner quand on lui caresse le dos, aussi sûrement on voit une douce folie se peindre sur la figure de l'homme qu'on torture. Dans de toute autres conditions, et avec de tout autres protagonistes, cette maxime aurait sans doute semblée disproportionnée. Mais dans cette antre autrefois emplie de rires, d’explosions plus ou moins contrôlées, drapée de tentures carmin, cette maxime prenait toute sa signification et paraissait d’une naturelle légitimité. Une chevelure rousse cachait avec peine l’intense et douloureuse concentration qui faisait comme un écho à l’expression torturée de son voisin de table tandis que le bourreau, tranquillement assis dans l’un des fauteuils que le temps avait craquelé, toisait d’un regard inquisiteur les deux silhouettes recroquevillées. Un devoir aussi simple, s’en était presque désolant. Elle leur avait pourtant déjà donné l’introduction, la conclusion...Elle n’allait tout de même pas les prendre aussi par la main pour écrire le développement...

Détournant les yeux en voyant le simulacre d’une tentative d’attendrissement son œil se posa sur une masse sombre dans la nuit. Une silhouette désespérément vide, froide...L’absence diminue les médiocres amitiés et augmente les grandes, comme le vent éteint les bougies, et allume le feu. Ainsi, aussi surement que l’absence décuple les sentiments, elle dévoile également la valeur des choses à nos yeux candides. Les petites choses qui suffisaient parfois à remettre du baume au cœur des trois comparses s’étaient envolées en un silencieux cataclysme. Plus de noires volutes émanant de l’étroite cabane. Plus de cours insouciamment dispensés-bien que cela soit un des seuls effets un tant soit peu positif à la réflexion-. Plus de peur au ventre, plus d’épée de Damoclès au dessus des têtes blondes.
Rien...

Tournant la tête vers la fenêtre en soupirant à ces pensées, une légère fumée noire se détachant sur la voute étoilée toute aussi sombre attira son attention et, se levant rapidement, Pattenrond poussant d’ailleurs un miaulement de mécontentement en chutant, elle se dirigea à grands pas vers la fenêtre, éludant les jérémiades des deux fainéants. Pour la première fois depuis ce qui lui avait semblé être des lustres, une faible lumière, blafarde et paradoxalement si chaleureuse illuminait l’une des fenêtres que le givre avait entachées. Un sourire naquit peu à peu sur les lèvres de la jeune fille et trois mots s’échappèrent sans qu’elle n’en prenne réellement conscience.

Hagrid est revenu

Trois mots jetés, dont l’écho s’évaporait en fumée contre les murs mais qui causèrent une telle agitation dans la salle commune que quelque spectateur chimérique aurait pu tout aussi bien songer qu’elle venait d’annoncer le déclenchement du troisième conflit mondial. Le bruit de plumes jetées, de livres renversées et de chute évitée la fit se retourner et, suivant le mouvement général, elle se prépara en vitesse. Effort qui passa visiblement inaperçu aux yeux du rouquin qui piaffait d’impatience.

Comme le fait de quelque homme invisible, de petites traces ressortirent sur les gerbes d’herbes que le givre avait cristallisées, et, tandis que la fraicheur de la nuit semblait les envelopper, la chaleur que provoqua en eux les quelques grattements et grognements que le vent portait aux oreilles du trio sembla occulter la rudesse du temps. Avançant une main fébrile vers l’imposante porte de bois sombre, les trois coups sonnèrent le glas des retrouvailles alors que celle-ci dans un grincement sourd s’entrouvrait...

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