Dolores posa ses couverts délicatement dans son assiette et s'essuya pompeusement la bouche. Au même moment, Albus se leva et commença le discours de bienvenue. Elle écoutait attentivement, tout en le regardant. Puis elle détourna son attention pour examiner l'ensemble de ses futurs élèves qui pour certains, la regardaient d'un air plutôt curieux, auquel elle répondait par un mince sourire qui n'avait pourtant rien de chaleureux. Puis elle reprit son attention sur Dumbledore qui continuait encore son discours qui lui semblait interminable.

-...magie dans les couloirs entre les heures de cours. Pour les autres choses interdites, vous pouvez également vous reporter à la liste affichée sur la porte de son bureau.

Quand il fit une pause, Ombrage crût le bon moment venir mais Albus continua. Il annonça notamment sa présence et celle d'un autre professeur dont elle n'avait pas sait le nom qui devait ressemblait à "Pomme Blanche" mais de toute façon, les soins aux créatures magiques n'étaient pas la matière essentielle. Rien à voir avec les défenses contre les forces du mal où elle se ferait une joie d'instruire toutes ces jeunes personnes avec les nouvelles méthodes approuvées par le ministère.

Dolores qui commençait vraiment à s'agiter décida que c'était le bon moment pour qu'elle se présente. Elle se leva, bien que la différence n'était guère visible. Elle s'éclaircit alors la voix:

Hum Hum

- Hum hum !

Dumbledore s’interrompit soudainement, la bouche légèrement entrouverte, ses yeux brillants d’un étrange éclat par-dessus ses lunette en demi-lune. Quelque chose avait brisé le silence respectueux de la Grande Salle. Quelque chose qui n’était jamais arrivé. Dans le cas le plus général, les élèves se taisaient, écoutaient, focalisaient leur attention sur leur directeur. Albus n’avait jamais vraiment aimé laisser entendre qu’il ne s’agissait là que d’une politesse envers un vieil homme, il préférait les supposer impressionnés par sa figuration sur une carte de chocogrenouille.

Et cette année comme toutes les autres, pas un seul d’entre eux n’avait bronché ; un professeur s’en était chargé. Avec un étonnement grandissant, le directeur de Poudlard tourna la tête, ne rencontra que de l’inanimé, baissa son nez aquilin sur Dolores Ombrage. Elle était vraiment petite, mais il en émanait une aura presque dangereuse, un présage d’horreurs roses et violettes. Décidément, cet entêté de Cornélius semblait bien décidé à jouer au jeu doublement tranchant du « on verra bien qui a le plus d’influence ». La large bouche molle du professeur Ombrage s’étira en quelque chose d’acéré qui ressemblait vaguement à un sourire courtois, et dans ses pupilles globuleuse flamba un feu ardent. Si Dumbledore avait dû lui deviner un Patronus, il lui aurait attribué le crapaud, car la ressemblance n’était que trop frappante. (Il se trompait lourdement sur ce point : le patronus de Dolores étant un gros chat.)

Mais si sa prestance était loin d’être flagrante, ses intentions, elles, furent très claires : un discours. Elle avait délibérément sectionné en deux parties nettes les propos d’Albus, venant immiscer un monologue de son propre cru. La Grande Salle toute entière retint son souffle, Sybille Trelawney s’étrangla, Argus Rusard joignit ses doigts noueux, et Dumbledore…

Dumbledore se rassit, contemplant le nouveau professeur de Défense contres les Forces du Mal avec un intérêt poli.

Après tout, la chance souriait aux audacieux.

« Nous allons bien voir. »

Prendre le gobelet, prendre la carafe, verser sans renverser ; sans renver… Mille présages funestes ! Il avait fallut qu’elle tremble à ce moment-là. Une grosse tache de jus de citrouille dévora le bois vernis de la table des professeurs, sous le regard intrigué du professeur Flitwick.

« Lààà, du calme Sibylle. On attrape une serviette et on éponge le désastre. Tu savais que cela allait arriver, n’est-ce pas ? Bien sûr que oui, c’était juste un test pour vérifier tes réflexes, rien de plus. D’ailleurs plus personne ne s’en soucie, le jus de citrouille imbibe maintenant la serviette détrempée. »

Par Merlin ce qu’elle pouvait être nerveuse ce soir ! Déjà ce matin, en levant de bonne heure (à chaque retour à Poudlard, elle dormait mal), elle avait été prise de soubresauts incontrôlables. En général, on aurait accusé la température de la pièce, mais lorsque l’on connaissait la chaleur tropicale des classes de Sibylle Trelawney, on préférait ravaler ses mots. Toujours était-il qu’en s’arrachant à ses couvertures : elle avait tremblé. « Pas normal » s’était-elle aussitôt dit. « Pas normal du tout ». Et de se plonger avec un intérêt anxieux dans les profondeurs de sa boule de cristal, pou trouver une signification à ces étranges maux. Au début, bien sûr, elle n’avait rien distingué grand chose. De la brume et des reflets, point. Puis en se concentrant davantage et en plissant les yeux d’une manière exagérée, des formes avaient commencés à naître, nébuleuses, tortueuses. Et comme venant du fin fond des ténèbres, une forme avait jailli, faisant sursauter le professeur Trelawney au point d’en perdre ses lunettes. Elle avait vu une main, boudinée et cruelle se refermer sur Poudlard. L’école allait être assiégée, elle en était sûre. Les ennemis de l’ombre allait ressortir pour s’attaquer aux enseignants et aux élèves… ou pire : à elle tout particulièrement ! Elle avait inspiré avec beaucoup de noblesse et de courage, et avait pris une décision un peu moins héroïque : ce soir, elle descendrait dans la Grande Salle pour manger avec ses collègues. Quitte à se faire tuer, autant que cela ne se déroule pas dans la plus grande solitude. Ainsi donc, Rusard – à la grande surprise de tout le monde – avait dû rajouter une chaise à la table des professeurs, permettant à Sibylle de prendre place entre Filius et Pomona. Et à présent, en ce moment même, elle gardait entre ses doigts crispés une serviette fleurant la citrouille et le parfum bon marché. Rien d’anormal, tout allait bien.

Pour le moment.

Une demi-heure passa. Le calme plat régnait toujours. Elle avait même entamé une conversation plus ou moins normale avec le professeur Chourave concernant les propriétés hallucinatoires du Fushia Globuleux, lorsque le directeur se leva, aussi joyeux et pétillant qu’à son habitude. Tradition annuelle du discours, même si Sibylle ne l’avait plus entendu depuis quelques années. Ses muscles et ses nerfs se détendirent progressivement tandis que les paroles suaves d’Albus déferlaient sur elle, et elle adopta finalement un mode de pensée moins fataliste. Que pouvait arriver à Poudlard ? Une école aussi bien protégée ? Sans doute avait-elle mal interprété les signes – elle n’était pas au mieux de sa forme ce matin – mais toujours était-il que…

- Hum hum.

Hum hum ? Depuis quand Dumbledore toussait-il comme une femme ? La médium tordit le cou dans toutes les directions, à la recherche de cette source de bruit discordant, et tomba finalement (elle avait failli ne pas la voir) sur une petite silhouette tout de rose vêtue. Un amas de chairs boudinées qui transmettait presque immédiatement une désagréable impression de malheurs. Le troisième œil de Sibylle en était troublé. Et elle n’étais pas la seule. Ses collègues, les élèves, même les fantômes s’étaient tus ; la Grande Salle était tout bonnement choquée, enveloppée dans un cocon de stupeur.

Le nouveau professeur de Défense contre les Forces du Mal risqua un pas, se dressa de toute sa hauteur (ce qui n’était guère impressionnant), et joignit les mains. Des mains potelées, aux doigts épais…

- Gnirplf !

Dans un sursaut vocal, Sibylle recracha tout son jus de citrouille, éclaboussant en partie le crâne du minuscule professeur Flitwick et la robe de Pomona Chourave. Elle s’essuya la bouche avec peine, la lèvre inférieure frémissante d’horreur : elle venait de reconnaître la signification du présage matinal de la boule de cristal. La force du Mal, l’armée de siège, c’était cette femme : Dolores Ombrage. Elle allait prendre le contrôle total de Poudlard et s’attribuer les pouvoirs de prescience de Sibylle. Le discours qu’elle servit ensuite pendant plus de dix minutes étaya toutes ces convictions. Des temps sombres s’annonçaient, et avec eux, des vagues d’inquiétude et de discorde. Tout allait changer.
Le professeur Ombrage se rassit sous de maigres applaudissements, rajusta son cardigan, et écarquilla ses orbites globuleuses.

Des orbites de crapaud, associées à un large sourire.

Elle jubilait en contemplant Harry Potter.