Dernièrement, la vie de Klarissa avait été tumultueuse et la sorcière, bien qu’amoureuse du danger, était loin de cracher sur cette petite soirée tranquille. Karna grignotait des miettes de toast dans un coin du salon, Necator avait le privilège de se balader librement et l’apothicaire, une tasse de café à la main, écoutait la RITM en classant des bocaux sur le comptoir de la cuisine. Andrew and the Fwoopers chantaient un de leurs succès, Be my mediwizard, et Klarissa était absorbée par les paroles de la chanson qu’elle connaissait par cœur. Des feuilles de menthe, des racines de sauge, des tiges de dictame, armoise et polygonum; elle secoua une petite branche de hêtre poussiéreuse avant de la mettre de côté, puis souffla sur l’étiquette d’un pot pour révéler l’inscription. Elle reposa le bocal qui disait « Ailes de cigale» et attrapa deux autres récipients qu’elle alla ranger dans l’une des nombreuses armoires de la pièce.

« Be my mediwizard, let me charm again ! Put a spell on my heart and magic in my brain ! »

L’apothicaire fit demi-tour en continuant de chanter et ramassa un morceau de parchemin taché qu’elle glissa entre deux pages d’un livre de potions. Elle secoua les pans de sa robe pour chasser la poussière et les débris et reprit le refrain. La sorcière avait échangé son habituelle robe noire pour une tunique pourpre aux genoux, agrémentée d’une ceinture de tissu noir. Elle avait abandonné bottes et bas de nylon au pied de son lit et gambadait à droite et à gauche pieds nus. Ses cheveux étaient remontés en chignon serré pour éviter qu’ils traînent dans ses précieux ingrédients.

« It’s a magical disease, I want you to heal me, I need your expertise, I want you to be…Be my mediwizard ! »

La jeune femme tourna sur elle-même avec un bocal d’œufs de salamandre, au moment où un bruit effroyable retenti au bas des escaliers du hall. Klarissa échappa son pot et hésita un instant, avant d’attraper Necator et de l’enfermer en vitesse dans un placard. Karna, terrorisé, tremblait sur le dossier du canapé, lorsque sa maîtresse passa en courant devant lui pour atteindre les escaliers. La sorcière s’arrêta net sur la première marche, son regard à la fois paniqué et perplexe fixé sur l’homme qui venait de faire exploser sa porte. Elle posa avec précaution une main sur la rampe, étudiant les débris et déglutit.

« …Ce n’est pas une façon d’entrer chez les gens… »

Un Mangemort. À peine venait-elle d’apprendre que Cadfael faisait parti de cette organisation que l’un d’eux se pointait chez elle en explosant sa porte. Bon, elle pourrait facilement la réparer, cette pauvre porte, mais son pauvre Boursouf serait certainement traumatisé à vie. Et Necator ! Le pauvre Runespoor en avait franchement assez de devoir rester dans un placard sinistre. Klarissa n’osait toujours pas descendre à la rencontre de son invité surprise et sa main libre se glissa discrètement dans sa poche pour attraper sa baguette. Elle ignorait dans quelle situation elle se trouvait exactement.

« Que me voulez-vous ? »

Ses doigts se resserrèrent légèrement sur la seule arme qu’elle possédait, puisque dans son accoutrement, elle n’avait absolument rien d’effrayant. Pfff. C’était facile avec une grande cape noire et un masque de paraître imposant, elle était certaine qu’avec la même tenue, elle serait intimidante elle aussi.

Alors qu’elle voulait une soirée tranquille, Klarissa avait été dérangée par l’arrivée impromptue d’un Mangemort fou furieux qui ne savait pas comment fonctionnait le principe d’une porte. Un Mangemort qui d’ailleurs s’étouffait avec le bordel qu’il venait de causer et s’excusait platement pour son entrée remarquée. Était-ce la façon dont tous les Mangemorts entraient chez les gens ? Heureusement que Cadfael n’avait pas cette manie, cette porte ne méritait pas d’être explosée plusieurs fois. Son invité surprise monta les marches une à une vers elle, et la sorcière espéra qu’il était venu pour prendre le thé. Ou lui poser des questions intimidantes à la rigueur. Parce qu’elle ne comprenait pas ce qu’elle avait pu faire de mal pour enrager un Mangemort. Elle ne savait que ce que son ami avait pu lui dire et à moins qu’on lui en veuille d’exister, elle jurait n’avoir rien fait de mal.

« Ah ! Be my mediwizard ! J’adore cette chanson. »

C’était bien le moment de dire ça…Si la situation avait été différente, l’apothicaire aurait joyeusement exprimé son amour pour cette chanson elle aussi. Mais voilà, l’homme qui se tenait tout près n’avait rien d’un gentil monsieur venu négocier un contrat, partager un thé et des gâteaux ou quelconque autre activité agréable. Il était armé et certainement prêt à se battre. Klarissa lui demanda fermement, sans provocation pour éviter de l’énerver d’avantage, ce qu’il lui voulait. Elle n’eut d’abord comme réponse qu’un rire assez lamentable se répercutant sur son masque métallique. La jeune femme, comme pour se donner du courage, se dit que sous ce masque se cachait un sorcier comme n’importe quel de ses voisins qui ignorait non seulement comment ouvrir une porte, mais ne maîtrisait pas non plus l’art du ricanement effrayant. La sorcière retînt son souffle un instant, faisant face au Mangemort qui malgré tout lui faisait peur. Elle souhaitait qu’il n’ait pas pour but de la tuer. Elle priait silencieusement Merlin pour que l’homme ne soit venu que pour une petite mise au point, pour lui ordonner de ne jamais rien révéler sur ce qu’elle savait.

« Les questions ne servent à rien, ma belle, sinon à ralentir les intrigues. Je te donne cinq secondes pour courir. »

Klarissa suivit des yeux sa main qui se levait et eut un frisson, à la fois de dégoût et d’effroi. Adieu le thé et les gâteaux. Il était bel et bien là pour régler des comptes. La sorcière recula lentement en fixant son adversaire, sa main toujours crispée sur sa baguette, puis tourna les talons et remonta jusqu’à l’étage rapidement. Elle s’arrêta une seconde dans le salon; Karna avait disparu dans un coin et la stéréo jouait toujours les mélodies de la RITM. Elle avait besoin de temps pour planifier quelque chose. Elle n’était pas duelliste, elle était apothicaire bon sang ! La jeune femme reprit sa course et atteignit la dernière porte au fond du couloir : le placard. Elle frappa violemment sur le battant pour affoler Necator puis libéra le Runespoor paniqué dans le couloir. Ce n’était peut-être pas un Basilic mais le serpent à trois têtes était loin d’être un enfant de cœur; elle gagnerait quelques minutes. Tentant de garder son sang-froid, elle entra dans sa chambre et referma la porte, qu’elle verrouilla d’un coup de baguette.

Elle pouvait toujours transplaner, mais ce serait lâche. Et il reviendrait, ou pire encore, l’attendrait ici. Elle se maudit de ne pas avoir eu de parfaits résultats en métamorphose, ce qui lui aurait éventuellement permis de travailler pour devenir animagus. Se transformer en…araignée tiens ! Mais c’était trop tard. Elle devait se battre. Klarissa sortit sa baguette de sa poche et prit une grande respiration avant de reculer au fond de la pièce, face à la porte. Elle pointa sa baguette droit devant elle, les muscles tendus, prête à défendre sa vie.

C'est toujours une incroyable sensation que celle-là : tenir entre ses doigts le destin d'un autre, se savoir capable, d'un simple battement de cil, d'ôter ou de donner, de pardonner ou de torturer. Etonnant, aussi, de constater l'emblème d'un tel pouvoir ; à savoir un simple bâton rigide, trois fois rien, guère plus qu'un brindille ensorcelé. Mais tellement jouissif, tellement en accord avec les pulsation du bras. La baguette choisit son maître, dit-on. Celle de Rodulphus n'est qu'un simple prolongement, son flux occulte est une veine de second sang. De sang pur, bien sûr. Les yeux de Klarissa se posèrent successivement sur l'extrémité de la baguette, puis sur les fentes du masque, comme pour y déceler une quelconque trace de pitié ou d'humanité. Peine perdue, ma belle. Les missions façon Lestrange se font en totale désincarnation. Pareilles à un lambeau de non-vie. Une non-vie qui, d'ailleurs, allait bientôt la frapper. Life was so cruel.

Avec la lenteur d'un Inferi, Hollister recula lentement, cherchant une porte de sortie invisible. Ses pupilles restaient dilatées. Elle commençait à comprendre, probablement, qu'aucn compromis n'allait être possible. Que sauver sa peau n'était guère une option ; il s'agissait de rendre l'acte plus émoustillant. Cliché ? Oui. Mais les clichés, s'ils sont récurrents, sont ce qui procure le plus de satisfaction. Subitement, secouée par l'adrénaline, elle fit volte-face et disparut dans un murmure, établissant sa dernière course. Des coups sourds s'élevèrent depuis les pièces voisines - probablement se cognait-elle aux murs comme une cruche - puis jaillit le claquement d'une porte.

Et le silence.

Rodulphus tendit le bras en avant et investit l'endroit à pas assurés.

- Allons, allons, beauté, si tu t'accules dans une impasse, je ne vais pas pouvoir…

Le reste de la phrase agonisa dans sa gorge. Là, sur le tapis, une sombre silhouette rampait avec hargne. Une sorte de créature infernale, dotée de trois têtes. Rodulphus recula un instant, suspicieux. La bête sortit de m'être sortit de l'ombre. A ses yeux flamboyants, le Lestrange reconnut un Runespoor. Il sourit de soulagement. En ayant lui-même possédé un durant plusieurs années, il ne s'inquiéta pas particulièrement. Ces animaux-là n'attaquaient guère les mages noirs ; une compréhension mutuelle les liait. Que Klarissa Holliser en possédât un étonna le Mangemort : peut-être avait-il, après tout, sous-estimé les capacités de la demoiselle.

- Passe ton chemin, serpent, susurra-t-il. Nous ne nous voulons aucun mal.

Il voulut enjamber le rampant mais ce dernier ne l'entendit pas de cette oreille - pour autant qu'elle fût visible. Il s'enroula avec force autour du mollet de Rodulphus, et planta avidement trois paires de crochets dans sa botte. Il hurla sous la pression, secoua la jambe, hurla à l'amitié puis à la trahison, et, lors du second assaut, perdit patience.

- Vipere ascendere !

Dans une gerbe d'étincelles blanches, le serpent vola dans les airs et s'écrasa mollement contre le mur opposé. Cette fois, le Lestrange ne possédait plus une miette de patience. Il hâta le pas et traversa toutes les pièces habitables, s'écrasa contre un panneau soudé à l'aide, très probablement, d'un Collaporta. Il leva sa baguette, bien résigné à tout faire exploser, puis se souvint de la sciure de bois dans son masque ; sensation désagréable s'il en est. Alors, avec la douceur d'un nouveau-né gazouillant son premier mot, il chantonna :

- Alohomora.

Et la porte s'ouvrit doucement. Il acheva son entrée d'un coup de pied.

- Maintenant, fini de jouer, cocotte. Finissons-en rapidement, j'ai rendez-vous chez le coiffeur.
[i]

Klarissa n’avait d’autres choix que de fuir pour gagner du temps. Elle s’était mise à courir sans se retourner pour libérer Necator. Elle espérait que son bébé, une fois bien énervé, s’attaquerait au Mangemort et lui infligerait quelques morsures bien placés pour le ralentir. Elle pria un instant pour que la tête venimeuse soit la plus féroce, ce qui mettrait éventuellement fin au combat qui s’annonçait. La sorcière se précipita dans sa chambre et verrouilla la porte avant de s’éloigner le plus possible vers le fond de la pièce. Elle se promit de ne pas crier, peu importe la situation. De peur ou de douleur, elle resterait silencieuse, jamais elle n’offrirait pas à son agresseur le plaisir de l’entendre protester. Avec le peu de calme qu’elle pouvait rassembler, l’apothicaire passa en revue tous les sortilèges qu’elle connaissait. Elle pouvait utiliser Avis, couplé à Oppugno, Confringo pouvait être utile, Incendio, Incarcerem, Stupefix, sans oublier le bon vieux Protego qui pourrait lui sauver la vie en cas d’urgence. Et elle avait encore toute une réserve d’enchantements et de maléfices qui pourraient l’aider à s’en sortir. Pourvu qu’elle ait le temps de les utiliser avant de se prendre un sortilège impardonnable. Dans le pire des cas, elle jouerait les lâches et transplanerait à la boutique, le temps de contacter quelqu’un au sujet de la situation. Comme Cadfael par exemple.

La jeune femme sursauta légèrement lorsqu’elle entendit le cri du Mangemort dans le couloir. Necator venait d’attaquer; à trois paires de crochets, Klarissa espérait que ce soit la droite la plus près du but. Une bonne dose de venin remettrait les idées de l’homme en place. Mais l’attaque du Runespoor n’allait sûrement pas dissuader son assaillant; elle entendit une formule prononcée à l’adresse de son reptile et un bruit sourd. Puis plus rien. Il approchait, c’était évident. Quelque chose était arrivé à Necator et ce n’était sûrement pas joli, il était peut-être blessé…ou pire. Cette idée fit bouillir le sang de Klarissa, elle allait le faire payer s’il avait eu l’audace de tuer son petit bébé. Elle avait pris beaucoup de temps pour l’élever, elle mettait tout en œuvre pour qu’il continue de vivre avec ses trois têtes, elle lui racontait des histoires le soir, elle l’emmenait au boulot avec elle…C’était son enfant et ce Mangemort l’avait peut-être assassiné.

« Alohomora. »

L’apothicaire brandit sa baguette devant elle, déterminée à le tuer si elle en avait l’occasion. Si elle devait le tuer pour survivre, elle n’aurait aucun remord.

« Maintenant, fini de jouer, cocotte. Finissons-en rapidement, j'ai rendez-vous chez le coiffeur.
- Vous êtes un rigolo à ce que je vois. J’espère que mon Runespoor va bien, c’est dans votre intérêt. Et je n’ai pas l’intention de vous laisser me tuer. »

Sa voix était légèrement tremblante, mais elle avait fait de son mieux pour garder son sang-froid. La sorcière se tenait droite, le bras tendu, en parfaite position de duelliste. Elle se remettait dans la peau de l’étudiante de septième année en plein examen de sortilèges et enchantements. Elle revoyait l’enseignant qui l’encourageait « Excellent mouvement du poignet, Miss Hollister, magnifique ! » « Oh oui, c’est très bien, très très bien, Miss Hollister ! ». Elle pouvait le faire, elle était confiante, sûre d’elle. Cette nuit, peu importe l’issue de ce combat, elle serait toujours en vie. Elle pointa sa baguette sur son adversaire et prononça d’une voix claire et déterminée son premier sortilège.

« Stupefix ! »

[C'est la dernière fois que j'accumule autant de retard T_T]