Ce matin-là, Lysander ne put rien avaler. Il se servit de petites portions dans les plats qui passaient à sa portée mais se contentait de jouer avec les œufs brouillés et les morceaux de lards qui se noyaient misérablement dans le blanc de son assiette. Hier déjà il avait sauté le petit déjeuner. Par peur de retomber sur la glaciale bleue et bronze, de provoquer un nouvel incident. Il s’était fait petit, tout petit, lui qui déjà réussissait la belle performance de se faire oublier avec un peu plus d’un mètre quatre-vingt de carcasse. Mais il ne pouvait pas – surtout en ce moment – se permettre de se conduire de manière extravagante, et sauter les repas, où les Carrows se faisaient un plaisir de procéder à quelques menues inspections – et corrections si cela était nécessaire -, en faisait partie.
Il fixa sa fourchette avec intensité, pris une discrète mais profonde inspiration, et la porta à sa bouche, se forçant à l’ouvrir jusqu’à ce que le contenu n’y disparaisse, à mâcher sans se broyer les dents au passage, la langue rétractée au fond de la gorge pour fuir les arômes qui lui donnaient la nausée,… Et se plaqua la main contre la bouche avec violence pour ne pas en recracher le contenu lorsqu’un petit paquet surmonté d’une lettre s’écrasa juste à côté de son verre, manquant de se faire se renverser. Il était arrivé. Dans les temps.
Sa gorge dansait une valse folle pour qu’il ne s’étouffe pas avec la nourriture à mi-chemin et il en était presque heureux : la surprise de se faire ainsi bombarder pouvait aisément justifier les larmes qui lui étaient venues aux yeux. Tenir la fin du repas avec son courrier sur les genoux sans bondir vers la porte pour rejoindre la relative intimité des dortoirs tenait de l’exploit, mais au moins avait-il retrouvé une motivation pour avaler le contenu de son assiette et il dévora la nourriture avant de filer sans demander son reste, sous les remarques moqueuses de ses compagnons de table qui voulaient savoir qui était « la belle dont un mot doux lui mettait le feu au marshmallow ».
Il ne tenait pas particulièrement à les faire déchanter sur le fait que la « belle » en question était un homme d’une bonne quarantaine de piges – presque un vieux. C’était tout de suite moins sexy.
Cher Lysander,
Excuse ma réponse tardive, le rythme de travail s’est quelque peu intensifié ces derniers temps.
La joie de reconnaître l’écriture de son beau-père – fallait-il donc que le monde soit en péril pour qu’il attende avec tant d’entrain des nouvelles de celui qu’il avait longtemps considéré comme un envahisseur ! – se fana à la première ligne. Un délai, il lui annonçait qu’il lui faudrait plus des trois mois convenus pour s’assurer de la sécurité de sa famille.
Lysander s’assit sur son lit, les jambes coupées, tout intérêt pour les nouvelles qui noircissaient le papier envolé. Au bout d’un mois et demi il se sentait déjà approcher la dangereuse limite de sa patience et de son self-control. Et il lui faudrait encore tenir plus que ce temps. Si fermer les yeux intensément permettait d’être transporté dans un autre endroit le jeune homme aurait déjà fait trois fois le tour de la Terre.
En rouvrant les paupières, de petits points noirs et blancs dansaient dans son champ de vision et il dû patienter avant de pouvoir discerner les lettres. Un délai qui lui fit prendre conscience qu’un dortoir désert était synonyme de début imminent des cours. Un soupir s’échappa de ses lèvres : il n’avait pas le courage de lire la suite de toute façon. Il ramassa son sac, fourra le papier et le petit paquet dans une de ses larges poches et se redirigea vers la porte avec un pas aussi lourd qu’il avait été empressé à son arrivée.
La journée passa avec un étrange mélange de lenteur et de rapidité. Les cours s’allongeaient pour devenir des années passées sur un banc inconfortable alors que les moments où il pouvait s’isoler pour rassembler son courage et finir ce qu’il avait entreprit se voyaient compressés au point de passer en un clin d’œil. Si un physicien moldu avait une explication sur ces dérèglements temporels, il voulait bien un cours. Un cours pour manipuler l’espace-temps.
Incapable de se concentrer sur les leçons, il avait passé ces heures devenues millénaires à observer ceux qui partageaient les salles de travail et ce qu’il avait perçu lui avait laissé une désagréable impression de calme. Exactement celui qu’on qualifie de « calme avant la tempête ». Il n’avait aucun indice précis, seulement quelques incohérences – celui-là qui, habituellement bravache, semblait calme et attentif, cet autre qui riait un peu trop fort – qui auraient pu être mises sur le compte de l’atmosphère pesante… Pourquoi ne le pouvait-il pas ?
Parce que, réalisa-t-il en milieu d’après-midi, beaucoup de ces personnes faisaient partie de l’AD. Ou au moins en avaient fait partie l’année passée. Le souvenir de sa petite escapade de la semaine dernière le hanta jusqu’à la fin des cours et fit provisoirement concurrence à sa précédente préoccupation. Ils avaient décidé de quelque chose. Et il ne savait pas quoi, n’ayant pas remis les pieds à un regroupement depuis le début de l’année scolaire. Mais que n’aurait-il pas donné pour le savoir ! La réponse tenait dans sa poche gauche.
Il en sortit le petit paquet pour en déchirer le papier d’un geste sec, révélant une boite de dragées surprises. Il en inspecta la tranche pour découvrir que le cheveu qui aurait dû s’y trouver était absent mais cela ne le surprenait pas : ils étaient partis du principe que le courrier serait inspecté de toute façon, la seule inconnue restant si les Mangemorts se serviraient ou non. Pour leur code le nombre de bâtons de réglisse était important, c’était malheureusement la faille d’un système aussi basique. Le jeune homme fit courir ses doigts sur les cylindres en les comptant du bout des lèvres sans cesser d’avancer vers les escaliers menant aux cachots et, semblait-il, son dortoir. Dix. Entre dix et douze – pour pallier aux imprévus météorologiques – jours à attendre avant les prochaines nouvelles. Avant ou après serait mauvais signe et l’état des bâtons lui dirait à quel point.
Mais avant de se préoccuper de l’avenir, surtout à plus d’une semaine, il devait d’abord se concentrer sur le présent. Il sortit un des rouleaux et le cala entre ses molaires avant de mordre rageusement. Il avait eu tellement d’instinct sur cette méthode. Le réglisse avait un long passif dans la famille : son père détestait cela alors que sa mère en raffolait et préparait toujours une tasse de tisane bien chaude et sucrée à son fils les soirs où l’orage grondait entre les murs de chez lui. Tradition abandonnée après qu’il en ait été dégoûté par leurs mois de disputes et le divorce qui avait suivi. Il fallait attendre un peu plus d’un an après le remariage de sa mère pour la voir ressurgir, sous forme de bâtonnets dans un paquet de cigarettes. Son beau-père fumait et sa mère voulait le faire arrêter. Si le jeune serpentard avait tout d’abord souhaité que cette divergence ne soit le point de départ de leur séparation – bye bye la sangsue ! – ça n’avait pas été le cas et, finalement las et agacé de voir sa mère meurtrie par la défense de ses positions il avait décidé de l’aider.
« Si tu veux mâchouiller quelque chose, calle-toi ça dans la joue et donne-t-en à cœur joie. C’est bon contre le stress. »
Il avait travaillé sur cette phrase pendant deux soirs entiers et en était plutôt fier. La tête qu’il avait faite en ouvrant son paquet ! Et le petit rire cristallin qui avait filtré au travers de la main que sa mère avait vainement mise devant sa bouche. Surtout ce rire et ce regard pétillant qu’elle lui avait lancé. Ça valait mille fois ce petit coup de pouce pour le faire décrocher.
Un petit sourire un peu triste tendit ces traits. Mélancolique. Ses pieds décidaient seuls de le porter au milieu des couloirs des cachots mais il ne se faisait aucune inquiétude sur le fait de retrouver son chemin et demeurait absorbé dans ses souvenirs. Seul bastion où il pouvait encore entendre un rire qui lui réchauffait le cœur. Sa main droite jouait avec le paquet alors que la gauche restait profondément enfouie dans sa poche, caressant le papier. Une fois à l’abri dans un coin à l’écart il pourrait avoir le fin mot de l’histoire. Et commencer à lui écrire sa réponse pour lui renvoyer son effraie le lendemain. Mais c’était sans compter la poisse.
Avait-elle flairé l’odeur de la réglisse ou celle des infractions au règlement ? Nul ne pourrait le dire, mais elle était bien là, rôdant dans l’ombre de l’élève, n’attendant que le moment où le paquet s’écrasa inévitablement au sol pour bondir et s’en emparer avant de prendre la poudre de cheminette. La flèche féline fila sur les pierres humides sans laisser au propriétaire volé le temps de réagir. Il s’élança sur ses talons avec un « Miss Teigne ! » à la fois rageur et angoissé. Il avait besoin de ce paquet ! Il devait le renvoyer avec la réponse à la prochaine lettre, tout manquement serait une alerte… Il avait prévu de se faire confisquer son bien, sous prétexte sans doute que « la plante était moldue ! » alors que ce n’était qu’une plante, et par cette absence de signaler le besoin de passer par un nouveau code, mais pas de se le faire voler par une petite peste poilue !
Ils ne pouvaient pas vraiment se permettre de gâcher des codes ainsi, alors déjà que l’inspection les obligeait à en changer régulièrement. C’est donc sans état d’âme qu’il sortit sa baguette et commença à lancer des sortilèges de saucisson dans le couloir, heureux de se trouver dans un endroit désert, galopant derrière la voleuse qui esquivait ses attaques avec l’agilité propre aux membres de son espèce. Raah, comment pouvait-il se laisser distancer par un chat dans un moment pareil ?
C’est au détour d’un couloir que lui apparut une échappatoire. Il ne fallait pas laisser la surprise tétaniser son joker. Rassemblant toute l’autorité dont il pouvait faire preuve, il lança à la jeune fille:
« Attrape-la ! »
[je ne sais pas si la ligne temporelle est très claire, on est actuellement entre la fin des cours et le repas, vers 18h-18h30]