« -Naaan, laisse moi tranquille, j’veux pas y aller! »

La blonde Marilyn venait de ronchonner, et elle enfouit à nouveau sa tête sous l’oreiller, en se blottissant sous les couvertures. Elle n’avait aucune envie de s’activer et pour cause, ce matin, elle avait cours de potions. Enfer et damnation. Elle détestait ce cours, sans trop savoir pourquoi. En fait, si, elle avait sa petite idée. Elle était nulle. Archi nulle. Et encore, nul, c’est un euphémisme. Elle était plutôt la catastrophe ambulante, un désastre sur pattes. En cours de potions, pour repérer Marilyn, suivez les fumées suspectes jusqu’à leur source. Elle n’était que trop souvent responsable de bourdes magiques. De même, les ingrédients utilisés en potions sont souvent dégoûtants, collants, poisseux, et malodorants. Marilyn, quand elle mettait les pieds dans les cachots, avait envie de déguerpir à toutes jambes. D’une, à cause de l’odeur pestilentielle qui y régnait. Ajoutez une odeur puante d’un cours, puis d’un autre cours, et encore d’un autre, sans jamais aérer -les fenêtres dans cette classe étant largement en option- et vous comprendrez aisément ce qui pousse Marilyn à penser ainsi. De deux, dans ces cachots, il faisait toujours un froid de canard, et l’humidité était plus que présente. Un truc vert débordait parfois du plafond vers le mur, et la blonde se demandait si c’était de la moisissure ou de la vase. L’ensemble dégageant bien évidemment une odeur suspecte. Marilyn en plus de ça, avait déjà songé à envoyer une lettre à sa mère pour lui demander d’investir dans un radiateur portable. Quoique, il y avait bien un moyen magique et qui était sûrement moins encombrant qu’un radiateur: un petit bocal contenant des flammes. Ca tenait parfois dans la poche -tout dépendait de la taille du bocal bien évidemment- et ça réchauffait sans utiliser d’énergie. Ecologique, en somme. Mais il y avait une chose, ou plutôt quelqu’un qui la rebutait bien plus que les ingrédients, le froid ou l’odeur fétide qui régnait dans les cachots. Le professeur lui-même, à l’image de son antre. Il faisait peur à la jeune femme, bien qu’elle n’oserait jamais le dire tout haut, de peur d’avoir l’air ridicule. Rectifions. D’avoir l’air plus ridicule que d’habitude. Elle avait toujours envie de se ratatiner sur place quand il dardait sur elle son regard froid et implacable, un sourire cynique flottant sur ses lèvres. Il lui faisait penser à euh…au loup dans le Petit Chaperon Rouge. Marilyn, naïvement, se demandait parfois si Rogue n’était tout simplement un vampire. Un vieux vampire, loin de l’idée séduisante qu’on s’en faisait habituellement dans les livres. Un vampire croisé avec une vilaine sorcière au nez crochu et un menton en galoche. La Poufsouffle se réveilla, n’ayant plus envie de dormir alors que les images s’imposaient dans son esprit. Elle repoussa les couvertures et se leva pour de bon. Arriver en retard n’allait en rien l’aider à s’attirer la sympathie du professeur.

Elle baissa la tête au moment de saluer le professeur, et marmotta un bref b’jour avant de filer à sa table. Ses longs cheveux blonds lui cachant la moitié du visage. Elle bougea le pied, et ça lui parut bizarre. Elle ne ressentait pas la dureté de ses chaussures habituelles, celles qui lui faisaient des cloques aux pieds. L’Etourdie baissa la tête, et remarqua avec embarras qu’elle n’avait pas mis ses chaussures mais qu’elle avait cavalé dans tout le château avec ses adorables pantoufles lapin roses. Oups. Elle passera par la case dortoir avant le cours suivant, il était hors de question qu’elle ne se trimballe toute la journée ces pantoufles, même s’il fallait les montrer car elles étaient trop mignonnes. Marilyn rougit, avant de regarder autour d’elle, mais visiblement personne n’avait remarqué quoi que ce soit d’anormal dans sa tenue vestimentaire. Quoique, elle avait surpris quelques sourires narquois quand elle est entrée dans la salle. En jupe, pour sûr que ce n’était pas très discret. Et le rose fantaisie des pantoufles contrastait singulièrement avec la sobriété de l’uniforme. Marilyn se tortilla pour enlever ses pantoufles et elle les fourra dans son sac. Il valait mieux pour elle de traîner à pieds de chaussettes plutôt qu’avec les pantoufles lapin. Elle se remit correctement, non sans s’être attiré le regard noir de quelques camarades agacés, avant de s’apercevoir que le prof la fixait. Elle rougit et se cacha derrière un voile de cheveux blonds. Elle avait loupé ses premières paroles. Rogue recommença à parler, et l’attention de Marilyn fut distraite par une mouche qui était en train de voler. Fascinée, elle la suivait des yeux pour chacun de ses mouvements, si bien qu’elle loupa presque toute la suite de la conversation. L’adolescente fit un gros effort pour se concentrer, son pied se balançant nonchalamment dans le vide, alors qu’elle se rongeait l’ongle du petit doigt, machinalement. Elle n’avait déjà qu’une hâte, c’est de partir. Parce que franchement, les potions, quelle perte de temps. Elle entendit quelques exclamations indignées, mais elle ne sut pas vraiment pourquoi. Peut être que le prof passait encore une fois son temps à casser, casser, et encore casser. Rien de bien important en fait. Rien qui ne puisse requérir son attention. De toute façon, Rogue allait être content quand les poules auront des dents. L’Etourdie s’empara d’une plume de Jobarbille et elle entreprit de balayer la table avec, sans se soucier que dans la manœuvre, elle allait sans doute récupérer dans les barbules des tonnes d’impuretés qui allaient nuire sérieusement à la confection de sa potion. Mais comment pouvait-on lui en vouloir, alors que tout puait l’ennui, de vouloir se distraire un tant soit peu? Le prof pouvait avoir quelque chose à dire, ou a redire, mais Marilyn, de bonne fois (toujours!) estimait qu’elle ne faisait rien de mal. Ne rien faire justement, était tout ce qu’on pouvait lui reprocher.

Enfin, il annonça la potion à la carte. Potion polyglotte. Hein? Marilyn fronça les sourcils, perplexe, essayant de remuer ses souvenirs afin de chercher ce à quoi ça pouvait correspondre, car paraissait-il, ils l’avaient étudiée les années précédentes. Mais le nom de la potion n’évoqua rien pour la Poufsouffle, qui retomba dans sa torpeur avec une moue boudeuse aux lèvres, continuant de saccager joyeusement les précieuses plumes. Il évoqua une liste d’ingrédients, -expression qui se détacha d’un flot de mots plus ou moins distinctement- et machinalement, l’Etourdie resta là, à fixer le tableau comme si ce dernier allait lui sauter aux yeux. Elle grimaça en voyant la liste peu ragoûtante et elle se dissimula à nouveau derrière ses cheveux. Ca allait promettre, tout ça. Elle sursauta pour de bon quand elle entendit que le professeur passait dans les rangs pour ramasser les devoirs. Marilyn fouilla dans les quelques papiers qu’elle avait sur sa table, et elle tendit au prof une feuille présentant une grosse tâche de café en plein milieu. En effet, ce matin, à la dernière minute, prise d’une inspiration soudaine, l’idiote avait fait son devoir ce matin même, pendant le petit déjeuner, mordant en même temps dans une tartine enduite de beurre et de confiture. En voulant attraper le pot à confiture, sa main avait accroché la tasse de café présente là, et elle s’était renversée, se répandant du même coup dur le parchemin nouvellement rédigé. Marilyn en avait pleuré de frustration, avant qu’un séduisant élève de sa maison, en année supérieure, avait pointé sa baguette sur sa copie, et avait réparé les dégâts. Enfin, il restait toujours cette hideuse tâche de café -autant ne pas trop en demander- mais c’était au moins lisible. Il manquait quelques mots, effacés, mais d’après le contexte et la phrase on pouvait aisément deviner ce que la jeune femme avait voulu dire. Elle l’avait remercié avec un sourire, et elle avait à nouveau disparu derrière ses cheveux. Une manie. En tout cas, malgré l’état piteux de son devoir, elle avait quelque chose à présenter, et tout le monde ne pouvait pas en dire autant. Parce qu’il y avait ceux qui n’avaient absolument rien à présenter. Et qui allaient faire perdre des points plus qu’il ne faut aux maisons. Il semblait que Poufsouffle, aujourd’hui, avait battu des records. La blonde afficha un air rêveur alors qu’elle repensait à ce garçon qui lui avait sauvé la vie. Elle n’aurait jamais eu le courage de recommencer, pour une fois qu’elle n’avait pas écrit un tissu d’âneries en plus! Marilyn ne prit pas la peine de noter ce que le professeur disait, elle s’endormait à moitié et se perdait dans son beau rêve. Son cœur de jouvencelle battant la chamade. Était-elle amoureuse? Mh, c’était pas trop crédible, connaissant le cœur d’artichaut de la demoiselle. Et puis, ça ne signifiait rien, il s’était contenté de lui rendre service, n’importe qui l’aurait fait, voilà tout. Elle tourna la tête et se mit à le chercher du regard, et elle vit tous les autres élèves se lever pour commencer leur manipulation. Rah. Il fallait se mettre au boulot, et cela n’enchantait guère la jeune femme.

Elle n’eut pas le cœur de réduire en poudre le fossile. C’était tellement joli. Elle le garderait bien en guise de décoration sur son bureau, à la maison. Mais elle devait l’utiliser dans la potion, ainsi, elle le laissera entier. Et puis même, qu’il soit en poudre, ou en entier, de toute façon, il y sera, alors chipoter, hein. Par contre, elle réduisit en poudre grossière le bec de Focifère, elle n’avait pas envie d’y passer des heures. Le résultat méritait d’être affiné, mais cela convenait à la jeune femme qui voulait rapidement en finir. Elle ne prit même pas la peine de diluer quoi que ce soit, moins elle manipulerait ces choses, mieux elle se porterait, et puis, c’est quoi l’intérêt de diluer, hein? Elle ne voyait vraiment pas. Elle versa la sève de tilleul dans le chaudron, et fit chauffer. Elle prit la poudre de Chrysopes et la mit dans le chaudron. En fait, elle jeta un peu tout en vrac, sans vraiment se soucier des quantités alors qu’elle avait oublié la moitié de son matériel. Alors elle dosait le tout à vue de nez. Et quand on connaissait Marilyn, c’était très approximatif, voire carrément à côté de la plaque par moments. Elle s’écarta vivement alors qu’elle allait ajouter les plumes de Jobarbille entières. Sa potion, ou du moins ce qu’elle osait appeler potion, s’était mise à siffler, et de façon désagréable. Elle était en train de bouillir, et dedans, il y avait un liquide violet sombre, qui avait la même texture et la même consistance que du chocolat noir en train de fondre dans une casserole. En fait, ça s’apparentait même plus à de la réglisse, ou à de la préparation pour des bonbons durs. Pourtant, elle était loin d’être dans un atelier de confiserie. La pâte devenue translucide malgré le fait qu’elle soit colorée s’accrochait à la cuillère, et avait du mal à s’assouplir. Marilyn ajouta dedans le fossile, ainsi que les plumes entières. Elle ajouta toutes les substances liquides possibles pour liquéfier le truc. La panique avait commencé à s’emparer d’elle. La potion, malmenée, ratée, du grand n’importe quoi en somme, explosa, éventrant le chaudron d’étain et répandant son contenu sur la paillasse. Marilyn s’ébouillanta au passage. Elle en reçut plein sur son t-shirt, et elle en avala par mégarde. Elle s’était brûlée. Et en plus elle avait lamentablement foirée. Ses cheveux étaient aussi collés par la confiserie bizarre. Elle allait devoir les couper, par Merlin! La jeune femme était dans un piteux état, et nul doute que sa note serait piteuse elle aussi. Inutile de préciser qu’elle n’avait rien à rendre au niveau compte-rendu, tout ce qu’elle avait à sa disposition, c’était un mot de l’infirmière qui l’avait prise en charge sitôt qu’on l’y eut envoyée.